dimanche 30 décembre 2012

Le ratata, le popo et le popotin

Et JB doit traduire cette phrase tiré de la quatrième histoire d'Elling (c'est lui qui souligne):
I neste nå befinner man seg på denne berømmelige benken, med en sonde i rattata.

Qu'est-ce que ce ratatta norvégien, que JB n'avait jamais lu jusqu'à présent?
Le dictionnaire monolingue norvégien ne le connaît qu'avec un seul T et explique:
ratataI -en (spøkef.) bak: falle, gå på ratataen
Etym.:uviss oppr.; muligens eufemistisk for rassen, ræva , jf. ratata II

Donc le ratata n'est autre que le fessier (= bak), le postérieur, l'arrière-train. Ce dont Elling parle donc, c'est que vous vous retrouvez "avec une sonde dans les fesses" — après que vous avez été kidnappé par les extraterrestres qui vous ont choisi vous et nul autre, et vont mener sur votre corps, et plus particulièrement dans votre rectum, des expériences et explorations toutes plus "humiliantes" (dixit) les unes que les autres.

Le dictionnaire ajoute enfin:
Étymologie: origine incertaine, peut-être une formation euphémique de rassen, ræva, voir ratata II
Ræv est l'équivalent norvégien de cul et rass (définition identique) est un des mots les plus grossiers, du moins au goût de JB, des jurons, gros mots et insultes de la langue norvégienne; puisque rass s'utilise également pour diffamer quelqu'un.

Que signifie l'autre ratata, le n°2?
ratataII interj.; brukt for å gjengi raske smell, især maskingeværsalve ratata bom!
Etym.: lydord
ratata II interjection; utilisé pour restituer une détonation rapide, notamment d'une mitraillette ratata bom!
Étymologie: onomatopée

Le Dictionnaire des onomatopées (2003) de Pierre Enckell et Pierre Rézeau propose une acception similaire dans l'entrée consacrée à taratata:, expliquant que ratata ou ratatata est un dérivé du précédent:
1. sons produits par un clairon, par une trompette, par une trompe.
2. bruit du tir d'une mitrailleuse ou d'une mitraillette.
On constate donc qu'il y a une similitude franco-norvégienne pour reconstituer lexicalement le son entendu, un claquement, une détonation. De plus, en norvégien, il n'y aurait donc qu'un pas entre le bruit produit par la mitraillette et celui du fessier. On n'a aucune peine à s'imaginer de quelle manière. Et on va y revenir.

Pour l'heure et pour JB, il s'agit de trouver l'équivalent français le plus adapté à la langue d'Elling, sachant que ce dernier parle un norvégien désuet, soutenu et riche. JB interroge la base dite CRISCO (on reste dans le sémantisme, quoi…), qui donne une liste souvent exhaustive de synonymes:


Pas de doute, JB va utiliser l'épatant popotin et traduire:
L'instant d'après, vous vous retrouvez sur le fameux banc, avec une sonde dans le popotin.

Et voilà le problème est résolu.

Mais JB s'étonne de ce mot, popotin, qui est oh si proche de son équivalent allemand Popo, un mot d'enfant pour désigner, donc, les fesses. Seraient-ils de la même famille? se demande-t-il. Et quelle est l'étymologie de popotin?

Commençons par l'allemand, avec le Kluge, le dictionnaire étymologique de la langue allemande qui nous explique:
Popo Sm. std. kind. (18. Jh). Das im 17. Jh. eingebürgerte Podex "Hintern" wird zu einer kindersprachlichen Reduplikation umgestaltet. Bezeugt zuerst im Nordosten.
-> L'emprunt, au XVIIe siècle, de podex (postérieur) est transformé en un redoublement enfantin. Le mot apparaît d'abord dans le nord-est [de l'Allemagne].

Donc le mot est assez ancien, plus ancien en tout cas que le français popotin, dont le Robert historique de la langue française nous dit qu'il est attesté en 1917 et "est très probablement issu de pot par redoublement à l'aide du suffixe -in." Et, si l'on se reporte à l'étymologie de pot, mais qu'on se concentre sur son évolution lexicale, on trouve en effet:
◊ Par analogie, il fournit un des noms du postérieur humain (1896, argot des ouvriers), en particulier de l'anus (1920) d'où casser le pot "sodomiser", commenté par Proust.

La figure, amplement glosée par les commentateurs, se trouve dans La Prisonnière (pp. 1857 à 1859 de l'édition en Quarto, chez Gallimard, et dans le tome III de l'édition en Pléiade, même éditeur, pp. 841 à 842), après que le narrateur a expliqué: "Albertine disait souvent «casser du bois sur quelqu'un, casser du sucre» ou tout court: «ah! ce que je lui en ai cassé!» pour dire «ce que je l'ai injurié!»"

La plus mystérieuse, la plus simple, la plus atroce se montra dans la réponse qu’elle me fit d’un air de dégoût, et dont, à dire vrai, je ne distinguai pas bien les mots (même les mots du commencement puisqu’elle ne termina pas). Je ne les rétablis qu’un peu plus tard, quand j’eus deviné sa pensée. On entend rétrospectivement quand on a compris. «Grand merci! dépenser un sou pour ces vieux-là, j’aime bien mieux que vous me laissiez une fois libre pour que j’aille me faire casser…» Aussitôt dit, sa figure s’empourpra, elle eut l’air navré […]. Mais pendant qu’elle me parlait, se poursuivait en moi […] la recherche de ce qu'elle avait voulu dire par la phrase interrompue dont j'aurais voulu savoir qu’elle eût été la fin. Et tout d'un coup deux mots atroces, auxquels je n'avais nullement songé, tombèrent sur moi: «le pot». […] Et tout à coup, le retour au regard avec haussement d’épaules qu’elle avait eu au moment de ma proposition qu’elle donnât un dîner, me fit rétrograder aussi dans les mots de sa phrase. Et ainsi je vis qu’elle n’avait pas dit «casser», mais «me faire casser». Horreur! c’était cela qu’elle aurait préféré. Double horreur! car même la dernière des grues, et qui consent à cela, ou le désire, n’emploie pas avec l’homme qui s’y prête cette affreuse expression. Elle se sentirait par trop avilie. Avec une femme seulement, si elle les aime, elle dit cela pour s’excuser de se donner tout à l’heure à un homme.

Et donc le pot pour le postérieur. L'acception n'est présente dans aucun des dictionnaires d'argot du XIXe siècle — idem du popotin, absent lui aussi. Il faut attendre celui de Gaston Esnault (1965) qui, dans le 6e sens (sur 7, le 7e étant la chance) explique:
6° Postérieur: En avoir plein le pot, être excédé (argot des ouvriers, 1896). Occupe-toi de ton pot, même-toi de ce qui te regarde (ibidem). ETYM. Ellipse de pot à moutarde (1488), à crottes (1654).
Ainsi donc le pot-postérieur vient du pot de chambre. Le sens apparaît plus que par ellipse: par métonymie. C'est la relation de cause à effet, ou de contenant à contenu (comme dans boire un verre: on ne boit pas le verre, mais le liquide qu'il contient), qui crée la signification, et donc le sens, et donc le mot.

Quid maintenant du popotin, que Gaston Esnault cite également?
Postérieur (argot des soldats, 1917): Se manier le popotin, se hâter (argot des voyous, 1928; argot des écoliers, 1937).
Avant de voir ce que notre gars Gaston dit de l'étymologie, JB va vérifier sur Gallica (le site de la BeuNeuFeu) quels documents nous indiquent ses occurrences les plus anciennes. Sans surprise, on ne retrouve pas le mot dans un roman, mais dans des revues. La première date de 1920, paraît dans La Voix du combattant, donc un "périodique" destiné aux militaires ou anciens militaires et, ce faisant, confirme ce que le gars Gaston précisait en cernant l'aire sociale de l'emploi du mot. Popotin est utilisé dans un poème écrit en argot, aujourd'hui assez cryptique, mais JB en reproduit malgré tout l'extrait:


Caramboler le popotin doit signifier botter le cul, en français populaire moderne — mais on ne trouve pas d'entrée dans le Dictionnaire des argots d'Esnault.

La seconde occurrence date de 1922 (04/01), se trouve dans un feuilleton intitulé Le gosse infernal, ou plutôt un "ciné-roman comique" ainsi que le nomme son auteur, André Dollé, et publié dans un autre périodique destiné aux militaires: Le Journal des mutilés, réformés et blessés de guerre. Le passage met en scène deux enfants et, d'un point de vue lexical, nous montre implicitement comment le mot passe de l'argot des soldats à celui des élèves:


Reste maintenant à se pencher sur l'étymologie et à répondre à la térébrante question, qui taraude en tout cas JB: Popo et popotin sont-ils des cousins? Autrement posé: le postérieur français serait-il un petit-fils du fessier allemand?
À en croire notre gars Gaston, c'est affirmatif, mon capitaine!
ETYM. Origine incertaine; le synonyme popo est d'avant 1900 et peut être soit de l'allemand Popo, idem, soit une variante enfantine de POT 6°.

Ça alors! s'exclame JB dans son palais socialiste.
Ou est-ce trop beau et trop simple pour être vrai?
Hum… Sans doute.
Le Trésor de la langue française, dans la partie étymologique du terme, cite effectivement l'explication du gars Gaston, mais, à ce jour, c'est davantage celle d'Alain Rey et Jacques Cellard, dans leur Dictionnaire du français non conventionnel (1980) qui primerait:
[Ils] y voi[en]t un redoublement de pot «postérieur» (1896) avec une suffixation enfantine qui peut avoir été influencée par potin «bruit».

Ça alors! s'exclame derechef JB dans son palais socialiste.
La boucle est bouclée et ce parfaitement.
L'explication étymologique se base sur les mêmes principes, tant morphologique que lexicaux, pour le norvégien ratata et le français popotin. Tous deux viennent d'un substantif signifiant fessier et tous deux se créent à travers un bruit émis. Enfin, dans le deux cas, l'origine est "incertaine". Du point de vue traductionnel, on ne peut être plus raccord!

Et voilà, JB a terminé son enquête, mais ne prendra pas congé de ses petits amis sans leur montrer la couverture d'un roman de gare utilisant le terme popotin. Ça vaut son pesant de cacahuètes (en un seul mot!) et ça ressemble à ça:


C'est évidemment macho en diable et publié en 1954, dans une collection qui comportera 14 titres aux noms tous plus éloquents les uns que les autres et qu'un certain "Tonton Pierre" explique ici. JB ne résiste pas au plaisir de recopier cette précision dudit tonton:

Huit titres seront frappés d’interdiction de vente aux mineurs et d’exposition / affichage, et deux titres – “C’est une fille très bien” et “C’est une belle garce” (faudrait savoir alors ?!) seront au cœur de poursuites judiciaires en 1955 et 1957.

Sur ce, babaille, hein!

vendredi 28 décembre 2012

"Too much sorrow"

Und der JB, der die Mopsfamilie zum Essen eingeladen hatte (nachdem er selbst von der Mospfamilie eingeladen wurde) hört plötzlich Dawn Penn in seinem sozialistischen Palast Too Much Hurt singen. Ohne genau den Grund genau zu verstehen (? wirklich? nööö!), weiss er, worum es sich handelt.


Und obwohl Dawn Penns Konzert ein der schreckligsten war (die Frau war so skrupellos und ungrosszügig), verbleibt das Lied von 1969 (yeah!) einfach schön.

Und nun geht der JB zum Nighter. Ha! Tschö-öh!

Bougre d'andouille (à col roulé)

Et JB, qui l'autre soir dînait chez la Mopsfamilie, en vint à parler de l'andouille, via les hasards de la conversation. Le partenaire commensal face à lui disait détester cette charcuterie — et JB de branler du chef. Le voisin et par ailleurs partenaire dudit partenaire (boah, c'est compliqué, c'te histoire) se demandait quelle était l'origine du mot, et si andouille avait à voir avec l'espagnol hondo, qui est un synonyme de profond. JB en doutait, mais allait tout à trac (après avoir demandé la permission) vérifier sur l'ordinateur d'un des membres de la Mopsfamilie. Il interrogeait le Trésor de la langue française qui lui révélait donc:

Prob. du b. lat. *inductilia, plur. interprété comme coll. fém. sing. de inductile, neutre substantivé de inductilis, pris au sens − soit de « choses prêtes à être introduites dans », dér. de inducere au sens de « introduire, faire entrer dans »

Rentré chez lui, il en avait la confirmation dans le Robert historique de la langue française, qui précisait même qu'il s'agit d'un "terme d'alimentation ancien", attesté aussi loin que vers 1178. Ainsi donc, le 18 juin de cette même année (pour les tout jeunes lecteurs du blog tatoué et fumeur: non, le 18 juin 1178, le Général de Gaulle ne lance pas encore son fameux appel), quelque part dans ce qui est la France, quelqu'un mange de l'andouille alors qu'un "impact météoritique sur la Lune crée le cratère qui portera le nom de Giordano Bruno". Ça alors!

Bon. En un mot comme en cent, JB trouve l'andouille définitivement dègue. C'est une infection généralisée, répugnante à commencer par son odeur. Il ne peut la voir ni en peinture ni dans une assiette, quand bien même celle-ci serait celle de son voisin. Mais JB, vainquant son dégoût de l'andouille, allait découvrir à sa grande surprise que le mot a connu une richesse lexicale des plus étonnante.
De fait, déjà en moyen français, le mot est connu:

A. - "Andouille (charcuterie)" : La povre n'a que les os et la pel, Et si ne puis trouver medicin bon : Endoulles font pluseurs de son pourcel, Tantost n'ara ne boudin ne jambon (DESCH.Oeuvres Q., t.1, c.1370-1407, 229). ...des eschines de porcs, andoilles saucites, et cotelletes de porc sauprises. (CHIQUARTCuis. S., 1420, 136).
- Rompre andouilles aux genoux. "Entreprendre qqc. qui ne peut pas réussir" : Jouons nous donc a jeu plus delictable, Sans vouloir rompre andoilles aus genoulx (LA VIGNERess. chrest. B., 1494, 134).

Mais, surprise, il y a un second sens, nämlich:

B. - [Sens obscène, dans des cont. grivois ou équivoques] "Membre viril" : Et tant fist par son beau parler, Par dons, requestes et promesses Qu'ensemble vouldrent assembler Jambes, andolles, culz et fesses. La povrette en telle presse Fut mise que le cueur luy faillit. (COQUILL.Oeuvres F., 1478-p.1494, 384).

Tiens donc!
Eh oui, même le Robert historique confirme que ce sens "vieilli [est] aussi ancien que le sens propre de “membre viril”". Pierre Guiraud, dans son Dictionnaire érotique le définit tout naturellement par "pénis" et atteste l'existence de ce sens du XIIIe au XVIIe siècle. Il en donne d'ailleurs des synonymes: andouille des Carmes et andouille à col roulé, qui plaît énormément à JB.
De fait, Le Roux, dans son Dictionnaire comique de 1750 1718, n'en a pas oublié la signification:


JB adore cette définition pudique "instrument dont fait les enfants" qui, aujourd'hui, fait davantage l'effet d'une faute grammaticale puisqu'on devrait plutôt dire "avec lequel" — mais bon. Toujours est-il que l'andouille des Carmes est tout aussi ancien. JB ne pense pas qu'on portait des cols roulés au Moyen Âge, mais il laisse le soin à la grotte de lui expliquer l'histoire du pull à col roulé.
Et, plus d'un demi-siècle avant Philibert Joseph (Le Roux), Antoine (Oudin) donnait une autre locution dans ses Curiosités françaises (1649), tout aussi savoureuse (avec jeu de mots, l'adjectif):


Toujours est-il que si pénis rime avec saucisse et, mieux encore, signifie saucisse (à l'instar de boudin, boudin blanc, boyau, saucisson et, donc, andouille), l'analogie érotico-charcutière est plutôt de forme et d'aspect, nous explique Pierre Guiraud. Et, si on daigne jeter un œil dans l'incontournable Petit citateur, de 1881, qui traite des "curiosités érotiques et pornographiques", andouille n'a plus droit de cité — confirmation que ce sens n'existe plus. Mais pas pour longtemps…

Néanmoins, l'andouille ne donne pas uniquement dans la métaphore culinaro-sexuelle. Ainsi, dès en moyen français, de la locution rompre l'andouille aux genoux, qu'on a vu supra, que le Robert des expressions et locutions donne au singulier (le genou) et explique ainsi:
"faire un travail absurde, impossible et inutile", et notamment, "user de violence mal à propos". C'est prendre l'andouille pour un morceau de bois sec, que l'on rompait au genou.

Idem du précieux Dictionnaire du bas-langage de d'Hautel (1808), qui confirme l'existence de la locution mais, en plus, en indique une autre, qui consiste également en une analogie de forme, comme le sens médiéval de pénis:


La forme, toujours, mais plutôt l'aspect que le contenu.
En effet, dans son Dictionnaire des proverbes français (1749), André-Joseph Panckoucke donne le tour suivant, que ne reprend pas le Robert, c'est donc signe que l'expression est tombée en désuétude, ce qui est bien dommage:


De nos jours, on dira plutôt qu'un vêtement boudine. Un sens que JB affectionne bien sûr. Le sémantisme charcutier part de la même image, celle de quelque chose/quelqu'un serré, compressé dans une enveloppe. Le Robert historique l'explique cependant ainsi, datant le verbe boudiner de 1842, donc tardivement:
[il] procède de la série des sens analogiques et figurés de boudin, s'employant en industrie textile et en technique, et familièrement avec l'idée de "serrer (qqch) dans ses vêtements". ◊ Son participe passé BOUDINÉ, ÉE a été adjectivé et substantivé, qualifiant une partie du corps ronde et épaisse, une personne serrée dans un vêtement étriqué (cf. saucissonné). ◊ Boudiné n. m. a désigné un élégant prétentieux de la fin du XIXe siècle en raison de sa veste étriquée.

À ce stade de l'enquête lexicographique, on peut s'intéresser une seconde à cette analogie vestimentaire de l'andouille.
Comme on l'a vu, déjà le Moyen Âge, andouille signifie pénis (on le trouve dans le Roman de Renart, mais aussi chez Villon, bien sûr) - sens qui s'éteint peu à peu. Au XIXe siècle, andouille, à l'instar des adjectivations de saucisson et boudin, désigne un vêtement qui engonce celui ou celle qui le porte et, par extension, cette personne. Puis, dans le milieu de XXe siècle, le sémantisme sexuel est réapparaît dans l'argot à travers la locution andouille à col roulé, dont le Larousse de l'argot et du français populaire donne comme synonyme andouille de calcif et dont les entrées respectives dans le vocabulaire seraient en 1957 et 1977. Retour à l'envoyeur ou, dada de JB, énième phénomène de l'inconscient linguistique, où le sens d'un mot, tombé en obsolescence, réapparaît à l'identique quelques siècles plus tard?

Quoi qu'il en soit, on pourrait croire que la métaphore vestimentaire explique le sens devenu courant d'imbécile, niais, sot. Eh bien non, c'est l'inverse. Selon Jean-Pierre Colin dans le Larousse précité, la signification apparaît en 1836, chez Vidocq, et est un "terme injurieux, désignant une personne molle (comme un boyau), sans énergie ni intelligence". Encore, donc, une analogie de forme. Et, si on va chercher dans l'ouvrage de référence, c'est-à-dire dans Les Voleurs, on trouve effectivement:


Dans son Dictionnaire de la langue verte (1866), Delvau nous explique stricto sensu la naissance de cette analogie:


Alors vive la charcuterie, et tant pis si ça sent. Lorédan Larchey va même plus loin, dans son Dictionnaire historique d'argot (1880), puisqu'il nous indique une acception hyperbolique et pléonastique du terme à travers l'adjectif ficelée:


Il s'agit d'une hyperbole en ce qu'elle renforce l'image, mais c'est aussi un pléonasme en ce que l'andouille est fondamentalement retenue par une ficelle. Et c'est d'ailleurs étrange qu'entre 1178 et 1880, en l'espace de sept siècles, l'analogie soit passée du dur (le pénis) au mou (le caractère). Ainsi donc, en cette fin de XIXe siècle, l'andouille n'est plus caractéristique que par sa mollesse, son absence d'allant.
Ou pas?

Peut-être ce sens dérive-t-il lui-même d'un autre syntagme incluant le mot andouille.
C'est-à-dire?


Le dépendeur d'andouilles n'a rien à voir avec la charcuterie, mais avec le tabac. C'est-à-dire?
L'introduction du tabac en France a lieu au milieu du XVIe siècle. L'andouille de tabac est le résultat obtenu par le séchage des feuilles. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751-1772) nous en explique le procédé:
prenez des feuilles de tabac prêtes à torquer ; choisissez les plus larges & les plus belles ; étendez-les sur une table bien unie ; mettez sur ces feuilles celles qui seront moins grandes ; roulez-les les unes sur les autres, & vous aurez une andouille de tabac.

Ainsi, celui qui va décrocher les andouilles mises à sécher s'appelle un dépendeur. Ce qui,à en croire les lexicographes, expliquerait la locution. Ainsi de Lucien Rigaud, dans son Dictionnaire du jargon parisien (1878):


Cette acception d'andouille scelle en français le second sens du terme et trouve sa locution finale dans faire l'andouille, à savoir faire l'idiot < faire l'imbécile < faire le mariole < faire des bêtises < faire n'importe quoi — locution qui date à peu près de la même époque, 1877 pour être précise, nous dit le Larousse.


A posteriori, pour JB, qui espère un jour traduire les histoires complètement déjantées pour les tout petits de Rune Belsvik, avec ses personnages improbables de Dustefjerten, cette étude lexicographique a priori hors-sujet n'est rien que de l'or en barre. Le nom du personnage (dont on ne sait si c'est un animal ou un humain) signifie en effet pet (= fjert) imbécile (= dust). La traduction anglaise, par l'éditeur, est littérale et géniale: Foolfart. Mais, en français, ça peut donner quoi?
Un temps, JB avait justement pensé l'appeler Niguedouille qui, nous informe Lazare Sainéan dans son ouvrage, Le langage parisien au XIXe siècle de (1920), est une composition à partir d'andouille, justement:


Nigaudinos serait pas mal non plus — d'autant qu'il a été employé par Balzac dans le Père Goriot (et tous les petits amis de JB savent combien Balzac a inventé des expressions, locutions et mots qui sont passés dans la langue française).


Le problème de nigaudinos est bien sûr son accent légèrement espagnol qui va mal dans un contexte norvégien. Ou pas?
Réponse quand JB aura traduit l'ouvrage…

dimanche 16 décembre 2012

Nous sommes gay et cool et smart et sexy

Et, tandis qu'à Berlin il fait nuit noire, à Paris, dans la Rance, ça défile pour la reconnaissance du mariage pour tous, de la PMA pour toutes et contre l'homophobie de tout poil et l'obscurantisme notamment religieux.

JB, qui hier regardait les infos dans El Mundo, a vu ce tract reproduit:


Beh! s'est alors écrié JB dans son palais socialiste. Y a une faute! Y a une hénaurme faute d'orthographe!! L'adjectif gay ne prend pas de S!!! On dit: Nous sommes gay.

Du coup, JB s'est dit: "Le doute m'habite." JB s'est dit: "Il faut vérifier." Selon lui, les adjectifs étrangers employés en français ne s'accordent ni en genre ni en nombre et demeurent donc invariables.
Alors?

Alors le Grevisse est formel:
Beaucoup d’adjectifs empruntés tels quels ont tendance à rester invariables, — surtout en genre, notamment quand leur finale se prête assez mal à recevoir la désinence du féminin.

Ah, quand même! a chuchoté JB dans sa barbe inexistante. JB est peut-être nigaud, mais question grammaire et orthographe, il l'est moins.
Toutefois, sachant que le Grevisse n'est pas non plus le parangon de la modernité et a tendance à proposer des réponses de Normand sur les points litigieux et/ou compliqués, à ménager la chèvre et le chou dès qu'il y a contestation, JB a tenté de chercher ailleurs. Il dit bien tenté parce qu'il n'a quasiment rien trouvé.

Il s'est d'abord emparé de son Jouette, sachant pertinemment que les chances de trouver une réponse claire étaient minimes — parfois, le Jouette élude carrément les difficultés, voire se trompe.
Pas loupé. Aucune mention précise dans l'article 7 intitulé "Adjectifs invariables". Ou plutôt si, le paragraphe d) aborde indirectement la question:
Les adjectifs du langage populaire ou argotique (dont la vie est généralement brève).
Pincez-moi, je rêve! s'est exclamé JB dans son palais socialiste.
Depuis quand, JB cite, riquiqui, popote, sado-maso (!), gnangnan, gaga, zinzin ont une "vie (…) brève"?? Mais qu'est-ce que c'est que c'est (oh!!!) ces sornettes?!
Dans la liste non exhaustive, JB en trouvait quelques-uns auxquels il pensait tels que in et sexy. Pour les autres, il fallait se reporter aux entrées respectives. Ainsi, cool et smart sont déclarés invariables. Mais sélect s'accorde. Black et gay figurent mais sans mention d'accord (ni d'exemples) pour l'adjectif.
JB avait prévenu ses petits amis, le Jouette n'est pas fiable.

Du coup, il a cherché sur la toujours impeccable Banque de dépannage linguistique québécoise. Sans se faire d'illusions. Les Québécois étant partisans de la traduction systématique des anglicismes, JB voyait mal comment ils proposeraient d'accorder des adjectifs anglo-saxons adoptés tels quels en français. Et, de fait, rien. Tout au plus a-t-il appris que chic (emprunté à l'allemand) est invariable en genre, mais en nombre:

L’adjectif chic est invariable en genre. Chic a eu autrefois un féminin, chique, mais il est tombé en désuétude. On dira donc aussi bien une femme chic qu’un homme chic.

Exemples :
- Quelle chic fille!
- C’est la rue la plus chic du quartier.
  
Pour ce qui est de l’accord en nombre, l’usage a varié au fil du temps. Au XIXe siècle, chic ne s’accordait pas en nombre, mais depuis l’accord tend à se généraliser. Ainsi, aujourd’hui les lexicographes ne sont pas unanimes : les uns donnent toujours chic comme invariable, les autres comme un adjectif variable.


Ce que confirmait d'ailleurs le TLF:
Prononc. et Orth. : [ʃik]. 1. Ds Ac. 1932. 2. Var. chique. La docum. montre que la graph. chique a eu une certaine vitalité au xixes. a) Comme graph. du subst. masc. : Si vous aviez eu, voyez-vous, un peu de notre «chique », vous l'auriez empêché de courailler (Balzac, La Cousine Bette, 1846, p. 348). b) Comme graph. de l'adj. au fém. : Est-elle jolie ta mère? S'il faut juger sur l'échantillon de ta bouche, elle doit être un peu chique! (Balzac, La Rabouilleuse, 1842, p. 372). Except., on trouve cette graph. au xxes. : Je frissonnais en entendant taxer de « chiques représailles » un bombardement de Karlsruhe (Gide, Journal, 1938, p. 1320).


Sinon, le seul document qu'ait trouvé JB est une étude lexicographique datant de… 1995, par John Humbley et Liselotte Bidermann-Pasques, consacrée à l'utilisation des mots anglais dans la presse, plus précisément dans le dais excellent Libération. Pour ce qui nous concerne, voici leurs résultats:


Ils confirment a priori la règle indiquée par le Grevisse. Mais indiquent que l'usage est plus souple. Que gay, comme dans l'exemple liminaire, s'accorde en nombre peut se comprendre du fait de sa proximité avec gai dont il est par ailleurs l'homophone. À constater que black s'accorde également, faut-il en déduire que les adjectifs qui vont qualifier des traits identitaires de l'individu auront tendance à s'accorder? Mouais… Ou bien parce qu'ils sont passés dans le langage, à l'instar de chic ou sélect, tous deux introduits grosso modo au début du XIXe siècle? Leur présence ancienne dans la langue française faciliterait l'accord? Autrement dit: plus un adjectif est employé dans le langage courant, plus les locuteurs le traitent comme les autres adjectifs.
Objection votre honneur: sexy et cool ont connu la même richesse et, pourtant, ils ne s'accordent pas. Leur importation date respectivement de 1925 et 1952. Et, second bémol, pourquoi jamais d'accord au féminin? Pourquoi les locuteurs accordent très facilement en nombre mais jamais en genre? On demande un ethno-linguistique à la 2!


JB récapitule les accords des adjectifs empruntés en prenant des exemples de la vie quotidienne.
Bien qu'elle ait arrêté tous les buts et soit restée zen, Nadine est sortie du match groggy.
(spéciale dédicace à G!!!)
Raymond, tu as une pince à seins très sexy!
JB n'apprécie pas la musique techno mais adore les sons reggae.
Grâce aux reflets auburn de sa nouvelle teinture, Raoul a séduit Lucien.
(Lequel Lucien était quant à lui très aux burnes de nature.)
Décidément in, Léone se pavanait dans une soirée sado-maso lancée, vêtue d'une cape kaki.
Patrice et Jacky, deux députés gay(s), fréquentaient des charcuteries sélect(es).
Maryse, relax, a pour animal de compagnie Grisette, une chatte mastoc.
Ulrike était très smart avec sa veste en cuir hyper cool.
(re spéciale dédicace à G!!!)
Ces garçons sensibles black(s) n'étaient pas adeptes des poupées vaudou.
Josy et Luce, mes chéries, vous ne faites pas vraiment snob(s) avec votre blouse en nylon carrément out.
La droite n'est pas open et les homophobes sont kapout.


Et voilààà. Babaaaille!

samedi 15 décembre 2012

"Somehow I leave it all behind"



"Funny I just can't forget the past
And it's so funny how long a memory can last"

[och, komm, jetzt aber nicht weinen…]

vendredi 14 décembre 2012

La fantasme de fantôme(tte)

Et JB, qui cherche dans le Godefroy (un des dictionnaires du moyen français) le mot fanon, qu'il a employé pour la première fois de sa vie dans une traduction et il n'en est pas peu fier, retombe sans le savoir sur ce mot:


C'était presque il y a deux ans et, à l'époque, JB ne s'intéressait pas aux spectres mais au syntagme nominal (c'est lui qui souligne):
 Spéc., PATHOL. Membre(-)fantôme. Perception illusoire et parfois douloureuse d'un membre amputé ou privé de sensibilité :
5. L'anesthésie par la cocaïne ne supprime pas le membre fantôme, il y a des membres fantômes sans aucune amputation et à la suite de lésions cérébrales. Enfin le membre fantôme garde souvent la position même que le bras réel occupait au moment de la blessure : un blessé de guerre sent encore dans son bras fantôme les éclats d'obus qui ont lacéré son bras réel. Merleau-PontyPhénoménol. perception,1945, p. 90.

Et Wikipédia expliquait (et l'explique toujours, d'ailleurs):


De fait, JB trouvait étonnante cette composition : membre fantôme ou douleur fantôme. Il se demandait: pourquoi fantôme?
Pourquoi? Parce qu'elle n'existe pas (la douleur). Le TLF explique que le substantif est ici utilisé en tant qu'adjectif:
c) En appos. à valeur adj. Qui n'existe pas vraiment, qui n'est qu'en apparence ce qu'il devrait être.
L'évolution sémantique est claire: de spectre, revenant, donc d'un être qui n'existe pas, une apparition comme le précise plus haut le Godefroy, on aboutit à cette valeur-là.

Dans le domaine de la lexicographie, on parle même de "mots fantômes". Ce sont des mots qui, en réalité, n'existent pas. Ou plutôt: ils ont été mal recopiés (les lexicographes disent mal "lemmatisés"). Le lexicographe n'a pas remarqué qu'il était face à une faute d'orthographe et a cru avoir affaire à un mot autonome, donc nouveau. Les mots-fantômes, ghost words en anglais, fantasmas lexicográficos en espagnol (c'est JB qui souligne, on verra pourquoi après), sont le cauchemar des lexicographes, leur hantise. Pour celles et ceux que ça intéresse, ils peuvent lire ici un exemple de découverte, compréhension puis suppression d'un mot fantôme, au départ "faisnieurs", en réalité saisineurs.


Non, ce qui aujourd'hui abasourdissait JB (qui, ses petits amis le voient, n'a jamais peur des mots), qu'il n'avait pas vu à l'époque, c'est le genre du mot fantosme en moyen français. Ou plutôt LES genres. JB cite:
s. m. ou f.
Donc: substantif masculin ou féminin.

Quoi? s'écriait JB dans son palais socialiste. On a dit autrefois une fantôme? Nan?!?!
Le TLF ne propose aucune remarque en ce sens. Ni aucun dictionnaire. Rien dans le Robert historique de la langue française. Même le Cotgrave de 1611 le donnait masculin:


JB adore ces fantômeries, donc des illusions, des châteaux en Espagne (encore l'Espagne…), et que le Godefroy définit quant à lui comme magie, sorcellerie. Bref.

Dans son dictionnaire français > anglais, Cotgrave donne fantosme et fantasme comme synonymes. Et Jean Nicot (oui, la nicotine, c'est lui aussi), dans son Thrésor de la langue française de 1606, le tout premier dictionnaire de français made in la Rance, recense le mot à fantasme dont il donne fantosme comme équivalent. Mais alors? Ça veut dire que fantôme et fantasme sont, à l'origine, un seul et même mot? Bingo!
Ce sont ce qu'on appelle en linguistique des doublets et ils viennent tous deux du grec phantasma, que le latin a ensuite importé.

Le Robert historique de la langue française, bien qu'il accorde aux deux termes des entrées respectives, qui signifient tous deux lors de leur introduction en français "illusion trompeuse" et donc "fantôme", précise cependant:
Il [fantasme] devient un terme médical, avec le sens d'"image hallucinatoire" (1832); son emploi s'est restreint au sens de "production de l'imaginaire qui permet au moi d'échapper à la réalité" (1866, Amiel); le développement de la psychanalyse, où le mot marque l'opposition entre imagination et perception réelle, a rendu cette valeur courante au XXe siècle (il traduit chez Freud l'allemand Phantasie).
Lequel Phantasie allemand (tout comme les équivalents scandinaves par le terme commun fantasi) signifie à la fois imagination et fantasme en français — ce qui, en traduction, suscite toujours un léger trouble: il faut toujours réfléchir une seconde pour savoir lequel est sous-entendu pour nous,lecteurs francophones.

Dans toutes les langues romanes principales (putine, si un lecteur sarde ou romanche ou frioul ou corse (aïe aïe aïe! corse!) lit ça, JB est mort!) — dans toutes les langues latines les plus parlées en terme de locuteurs (ouf!), fantôme et fantasme ne sont qu'un seul et même mot: fantasma. En italien, espagnol, portugais, catalan, c'est le même combat au niveau de l'imagination, de l'illusion, du spectre et de la vision: fantasma. Point barre. Quant au provençal, JB a vérifié, le mot ne semble toujours pas y être arrivé… Mais sinon, fantasma.
Sauf en français. Et sauf en roumain (on oublie trop le roumain, JB le premier, c'est un mini-scandale en soi):


Pourquoi en français et pourquoi en roumain? Pourquoi pas dans les autres? La question, JB la pose à ses petits amis en espérant qu'ils vont lui répondre. Et, en attendant il reposera l'autre question, la liminaire:
La fantôme, donc?

En roumain, oui, sans l'ombre d'un doute:
FANTÁSMĂ, fantasme, s. f. 1. Stafie, nălucă, arătare, fantomă. 2. Fig. Imagine, priveliște neclară, ireală. ♦ Închipuire fără o bază reală, produs al imaginației; iluzie, himeră. – Din ngr. fándasma.
FANTÓMĂ, fantome, s. f. Ființă ireală pe care cred (sau pretind) că o văd unii oameni cu imaginația tulburată sau pe care o creează fantezia scriitorilor; nălucă, stafie, strigoi, fantasmă, arătare. ♦ Fig. Ceea ce are o existență incertă, fictivă, ceea ce (nici) nu există în realitate. ◊ (Adjectival) Guvern fantomă. – Din fr. fantôme.

Les Roumains (et les Moldaves avec eux) disent donc la fantôme et la fantasme. Mais chez tous les autres, lusophones, hispanophones, francophones, Italiens, Catalans, c'est masculin: le fantôme/fantasme.

Mais pourquoi les Roumains ne peuvent pas faire comme les autres, bon sang de bois?
On peut poser la question à l'envers: pourquoi nous ne pouvons pas faire comme les Roumains? Et si la logique était chez les Roumains?

JB est allé chercher une explication dans les grammaires, puisque les explications étymologiques ne donnaient rien.
Il est revenu bredouille.
Rien chez Ménage, rien chez Beauzée, rien chez Brunot, (presque) rien chez Dupré, rien chez Grevisse. Mique alors! Seul Kristoffer Nyrop, dans le 3e tome de sa Grammaire historique langue française de 1909 explique que les mots latins en -a sont régulièrement féminins en français (ex: terra < la terre). Puis il ajoute:


Frédérique Biville tempère quelque peu cette assertion étymologique dans son ouvrage Les emprunts du latin au grec (1990) puisqu'elle explique:


Quoi?! Le fantasme est lesbien maintenant? C'est pas assez compliqué comme ça, faut en plus que les gouines nous fassent perdre les pédales? (OK, elle est fastoche.) Même si JB a pas mal de petites amies qui branleront du chef en apprenant ça, que le fantasme est donc lesbien, il n'empêche que, oui, le lesbien est une variété du grec ancien:


Bon, ce qui est sûr, c'est que la difficulté vient… de la Grèce. En tout cas en linguistique et en grammaire, mais aussi dans la finance et pas dans l'orientation sexuelle (donc).
Si on revient à ce que Kris(toffer, danois de nationalité) nous disait sur les neutres en -a en grec ancien, à savoir qu'ils sont devenus masculins. Dans sa Grammaire de l'espagnol (1996) Georges Lebouc nous explique la même chose, sauf qu'il se plante en beauté sur anagramme et épigramme (la teu-hon!):


Les Italiens sont encore plus systématiques et plus logiques, comme l'indique cette grammaire de 1820:



Mais dans ce que disait Kris, si on relit très exactement ce qu'il explique, on se souvient que, JB recite:
Les neutres grecs en -a ont pour une grande partie adopté le genre de leur désinence et sont devenus féminins en français comme dans les autres langues romanes.

Et si c'est ce qui était arrivé à notre fantôme/fantasme? Et s'il avait été d'abord féminin puis masculin, pour des questions de logiques grammaticales. Après tout, le roumain l'a bien gardé féminin…
Parce que, là, attention, les petits amis de JB doivent être bien accrochés, sans quoi ils risquent de tomber de leur méridienne et se faire une commotion cérébrale, car JB va faire une révélation:

Ta-dah ! (roulements de tambour)

Toutes les romanes ont connu un fantôme/fantasme féminin. SI !!!

À commencer par les Italiens. Si on regarde dans le Vocabolario della Crusca,  l'encyclopédie de l'Académie éponyme, on remarque certes que les éditions de 3 à 5 (respectivement de 1691, 1728/1739 et 1809) indiquent toutes un genre masculin à fantasma. Mais tant la 1ère (1612) que la 2nde (1623) précisent:


En première instance le masculin et, pour les cas plus poétiques, le féminin.
En espagnol, idem. Le Diccionario de la Lengua Española, éditée par la tout aussi chic et sérieuse Real Academia Española explique que "en espagnol médiéval et classique, on utilisait majoritairement le féminin (dont on garde des réminiscences dans le parler populaire et, parfois, littéraire); en espagnol contemporain, le mot est de genre masculin":


Le Diccionari de la llengua catalana de 1900 donne également le terme au féminin:


Et même dans le dictionnaire moderne de catalan, deux sens peuvent être mis au féminin: le second, qui renvoie aux spectres et aux revenants; le quatrième, qui définit un individu bluffeur.
Les Portugais? Pas mieux que les autres. Un simple coup d'œil dans le Novo Diccionario da lingua portugueza (1852), d'Eduardo de Faria, montre qu'il y a là aussi une ambiguïté sur le genre:



Chronologiquement, les Français ont été les premiers à céder sur le genre. Sont venus les Italiens. Puis les Portugais. Puis les Espagnols. Et enfin les Catalans. Les Roumains, eux, se sont drapés dans leur dignité linguistique et grammaticale en lâchant, à l'instar de la reine des Pays-Bas: "Je maintiendrai!" La Roumanie, douze points.
Le fantôme est en fait une Fantômette, comme l'héroïne de Georges Chaulet (mort pas plus tard que cette année 2012), ici aux prises dans un combat sinon en lesbien, en tout cas crypto-lesbien:



Mais JB ne saurait terminer son post fantomatique sans le rendre également fantasmatique (ce qu'il vient de commencer à faire) et ainsi revenir à ce qu'il avait, déjà à cette époque, voulu montrer à ses petits amis à propos des fantômes/douleurs fantômes/fantasmes. Et il n'a pas fini sur le portugais pour rien car il pense évidemment au film troublant de João Pedro Rodrigues, O Fantasma (2000), dans lequel réalisateur portugais (qui épate toujours par ces longs plans panoramiques horizontaux et non plus verticaux comme c'est le cas traditionnellement) cristallisait dans son personnage les deux sens du substantif fantasma.


Sergio (joué par Ricardo Meneses, ici de dos, mains ligotées) est un jeune garçon qui travaille en tant qu'éboueur à Lisbonne. Homosexuel, il a une attirance particulière pour les rapports S/M. De temps à autre, il revêt une combinaison intégrale en latex et hante les rues de la capitale ainsi habillé, en quête d'hommes. La fin du film le voit justement dans une décharge publique, où visiblement il veut vivre. La séquence est longue, sans dialogues, hallucinatoire, fantomatique, comme l'étymologie première du mot fantasma.


Ainsi vêtu, avec une allure de fantôme prompt à susciter (chez certains garçons sensibles) des fantasmes, Sergio essaie vraiment de subvenir à ses besoins, dans cette décharge. Il fouille les poubelles en quête de nourriture; aperçoit un lapin, qu'il course et attrape et tue; boit de l'eau croupie, finit par vomir.


Est-ce que, ce faisant, il réalise son fantasme de fantôme? On ne lui souhaite pas autre chose.



PS, samedi 15.12.2012 -
JB est nigaud. Si si. Il a oublié cette fameuse phrase du Marquis (de Sade) que Guibert (Hervé) a inscrite au firmament littéraire en l'utilisant comme titre de roman. On la trouve dans une lettre de 1783, écrite par Sade à sa femme, alors qu'il est emprisonné depuis 1777 au Donjon de Vincennes (il sera transféré à la Bastille l'année suivante, en 1784, sera libéré en juillet 1790 et aura ainsi passé treize ans en prison):
Vous avez imaginé faire merveille en me réduisant à une abstinence atroce sur le péché de la chair. Eh bien, vous vous êtes trompés : vous avez échauffé ma tête, vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise.

La moitié de phrase soulignée devient donc le titre du roman que publie Hervé Guibert en 1987.
JB a trouvé à propos de cette phrase de Sade un commentaire intéressant, où on constate comment les doublets fantôme et fantasme se rejoignent: