mardi 17 mai 2011

un péteur d'église (ein Kirchenfurzer)

Et JB, sérieux comme un pape, doit traduire le syntagme norvégien suivant:
ein prompande liten baby
Soit, littéralement:
un petit bébé qui pète

Hum.
JB hésite.
Primo, en français, l'adjectif petit est superflu: un bébé est forcément petit. Secundo, autant on sourit en norvégien, autant on reste de marbre en français; autant c'est mignon en norvégien, autant c'est vulgaire en française. JB doit donc garder l'image mais en modifier les termes. Sachant que le bébé en question est l'héroïne de l'histoire, une petite fille de 10 ans.
Re-hum.

Et si JB utilisait une autre image? Ne parle-t-on pas en français de pisseuse?
Et, brusquement, JB se rend compte que la langue française utilise un substantif dérivé de tous les verbes désignant une déjection et qui, le substantif en question, désigne non seulement un être humain, mais particulièrement un enfant. Nous avons ainsi:
• péteur et péteux (a priori, pas de féminin)
• morveux/morveuse
• chieur/chieuse et emmerdeur/emmerdeuse
• pisseuse (a priori, pas de masculin) et pissousse

Prenons-les (si JB ose dire) dans le désordre et par élimination. En s'aidant des définitions du Grand Robert:
• chieur/chieuse (a) et emmerdeur/emmerdeuse (b)
a) Qui embête contrarie qqun. Quel chieur, ce type!
b) Personne particulièrement embêtante. Je le fuis comme la peste, c'est un emmerdeur. C'est la reine des emmerdeuses.
-> JB adore ce syntagme roi/reine des emmerdeurs/deuses. Il le réutilisera dans sa traduction de Maria Parr, ça collere parfaitement au ton.
Toujours est-il que, comme on le voit, non seulement le substantif ne renvoie pas particulièrement à un(e) enfant, mais il aurait plutôt tendance à désigner un(e) adulte.

• péteur (a) et péteux (b)
Il y a une nette différence de sens (on y reviendra) puisque:
a) Personne qui a l'habitude de laisser des échapper des vents — Au féminin (avec une valeur analogue à pisseuse et pouvant être considéré comme féminin de péteux).
-> Et revoilà un bel exemple de machisme langagier. Au masculin, le substantif ne désigne pas non seulement qu'un homme, mais un pétomane (lequel n'a d'ailleurs pas de féminin, mais le Robert emploie cette splendide citation de Michel Déon: "Tu sais sûrement qu'Hitler est pétomane."), donc qui caractérise le comportement de l'homme. Alors qu'au féminin, il a une valeur non seulement très clairement péjorative, mais caractérise le tempérament de la femme puisque:
b) Personne peureuse. Personne (souvent: personne jeune, enfant) de peu d'importance; être insignifiant, méprisable. Débarrasse-moi le plancher, espèce de petit péteux.
-> Et on constate que le terme renvoie à un(e) enfant quel que soit son âge, mais sa connotation fortement péjorative (< "personne méprisable") empêche son utilisation dans la traduction.

• pisseuse (a) et pissouse (b)
a) Le substantif ne désigne en effet que la "personne qui pisse" et, uniquement au féminin, considéré par le Robert comme "péjoratif et vulgaire":
fillette, jeune fille. Variante régionale: pissouse.
b) Le Robert n'offrant pas d'entrée à pissouse, il faut consulter le Larousse de l'argot et du français populaire, qui l'indique également comme "variante" et fixe son apparition à 1977. Quant à la pisseuse, elle est qualifiée de:
fille jeune (généralement fillette, parfois adolescente).
-> Là encore, étant donné les registres et les valeurs du mot, son emploi est exclus.

• morveux/morveuse
2) Qui a la morve au nez. Enfant malpropre, barbouillé et morveux.
3) Familier. Petit garçon, petite fille. Un morveux qui braille, sans arrêt (-> beugler). Par exagération: très jeune homme, très jeune fille.
◊ Par extension et péjoratif: Personne très jeune qui se donne des airs d'importance.
-> On voit qu'on a déjà passé à un âge inférieur et que le terme est moins chargé que les autres. Il n'est plus que "familier" là où les autres étaient clairement péjoratifs et vulgaires.

Avant de livrer la solution du problème de traduction, JB aimerait tirer deux conclusions de cette analyse lexicographique:
1) D'un point de vue sociolinguistique, il est particulièrement intéressant de voir que les sécrétions/déjections humaines connaissent une telle fortune lexicale, voire, qu'elles finissent toutes, par analogie, à déterminer un tempérament, un trait de caractère, quand bien même ceux-ci seraient péjoratifs. C'est sans oublier que le sémantisme de l'injure, en français, renvoie principalement à la sexualité et aux excréments (là où, en anglais, il renvoie surtout à la religion et à la sexualité, en norvégien à la religion principalement et plus particulièrement au diable). Parfois sexualité et excréments se retrouvent (confer enculer, va te faire foutre, etc.).
2) À une exception près, les analogiques ont toutes tendance à désigner un enfant, et plus particulièrement, un petit enfant. Il est simple de comprendre comment la métaphore est réalisée: à l'inverse des adultes, le petit enfant n'a pas encore appris à se retenir pour faire ses besoins; il laisse tout aller sans retenue, tout part, tout coule, tout sort.

Et maintenant la traduction.
C'est en fait l'exemple donné pour la définition du morveux qui va donner la solution. Celui-ci était: "un morveux qui braille".
De fait, il semble que la langue française connaisse, quand il s'agit de désigner le petit enfant voir le bébé, une richesse lexicographique dont non seulement le sémantisme porte sur les cris et les hurlements (braillard, gueulard, pleurnichard, etc.), mais dont l'ensemble des termes est formé à partir du suffixe -ard (chiard, gniard, moutard, etc.).
C'est donc fort de cette constatation que JB va élaborer son choix de traduction.
Pourquoi ne pas utiliser ‘une morveuse braillarde’?

Revenons au texte. Qui parle? Un vieux monsieur, à qui la mère lui a enlevé son propre enfant, ce dont il a gardé une blessure considérable. Un vieux monsieur qui parle un langage plutôt châtié, en tout cas fleuri, et que l'héroïne n'hésite pas à rebaptiser de "vieux cabochard". Qui plus est, l'auteure emploie constamment des néologismes et des jeux de mots. Pourquoi alors ne pas jouer là-dessus et oser, carrément, sans vergogne un:
une moutarde braillarde
Et tant pis si, dans ce sens, moutard ne se féminise pas (et pour cause, le terme désigne à l'origine un "petit garçon" ou, par extension, précise le TLF:
Rem. On relève qq. emplois de moutard au singulier pour désigner un enfant sans distinction de sexe, notamment lorsqu'il s'agit d'un enfant à naître ou qui vient de naître.

Toujours est-il que JB est raccord au niveau du sens (= le "petit bébé"), raccord au niveau de l'effet (a) retour de graphie et rime intérieure, b) formule hypocoristique prêtant de surcroît à sourire voire à rire), raccord enfin avec l'intention de l'auteure tout au long du roman (confer les remarques supra).
Et voilà, emballé c'est pesé. Dans les langes traductionnelles, la locution.


Quoi qu'il en soit, JB cherchait donc ces substantifs dans le dictionnaire, et plus particulièrement le péteur, histoire de vérifiait s'il se mettait au féminin, quand il tombe dans le TLF sur la définition de la locution suivante (et c'est lui qui souligne):

Péteur, -euse, subst., vx, pop. Personne qui a l'habitude de péter (supra I A). Un sale péteur (Lar. 19e). Loc. On l'a chassé comme un péteur (d'église). ,,Se dit d'un homme qu'on a chassé honteusement de quelque endroit`` (Ac. 1835, 1878).  [petoe:ʀ], fém. [-ø:z]. Ac. 1694-1798: pe-; dep. 1835: pé-.  1res attest. a) 1380 «celui qui a l'habitude de péter» (Roques t.2, 8953), b) 1649 péteurs d'eglise «gens indésirables» (Scarron, Virgile travesti, I, I, 65 cité dans Régnier, Satires, éd. G. Raibaud XIV, 6 note, cf. péteux); de péter, suff. -eur2*.

Quoi? Un péteur d'église? Ça existe?!
Pour l'anticlérical borné qu'est JB, ce sens est évidemment de l'or en barre.
Ainsi donc, indique le TLF, la première édition du Dictionnaire de l'Académie (1694), le recensait déjà. Se peut-il toutefois qu'il y ait des usages plus anciens? plus précis?

La locution fait son entrée à l'époque du français classique. Nulle trace dans les dictionnaires de moyen français ni dans le Cotgrave (le dictionnaire français < anglais de 1611 qui recense souvent des termes que les premiers dictionnaires de français rédigés par des lexicographes français prendront soin de ne pas reprendre). Tout au plus trouve-t-on le terme notamment dans le Godefroy avec cette citation que JB affectionne drôlement:


De fait, le Robert historique de la langue française nous explique:
PÉTEUR, EUSE nom (1380) “personne qui a l'habitude péter”, mot burlesque qui a donné lieu à des exploitations littéraires comiques (la Compagnie des francs péteurs, dans l'Art de péter, au XVIIIe siècle), et sa variante PÉTEUX, EUSE nom et adjectif, d'abord employée (1456) comme nom propre avec une majuscule puis comme nom commun dans la locution chasser qqun comme un péteux d'église (1613) “comme un indésirable”, sorti d'usage.

JB se récrie. Que nenni! La locution n'est pas du tout sortie d'usage puisque JB, et tous ses petits amis avec lui, vont la réintroduire dans le langage. Et , dans très peu de temps, toute la planète francophone ne jurera plus que par les péteurs d'église.
Trêve de bêtises.
En moyen français, péteux et péteur ont le même sens, ce que confirme le Godefroy. Mais, petit doute, le Robert parle de péteux d'église alors que le TLF et l'Académie parlaient de péteur d'église.
Alors, quid?
Avant de répondre, JB aimerait faire une petite parenthèse pour les lecteurs germanophones du blog et tatoué et fumeur et qui sont tout autant ses petits amis. Si les petits francophones de JB ne peuvent pas attendre, ils sautent directement à ce qui les concerne plus bas.


Ja, liebe kleinen Freunde, der JB hat sogar eine Übersetzung von diesem Ausdruck, un péteur d'église, auf deutsch gefunden. Tatsächlich! Direkt übersetzt sollte es Kirchenfurzer heissen, was eigentlich bedeutet: ‘jemand, der schamvoll gejagt wird’. Aber anscheinend hat der gewissene Karl Julius Weber, in seinem Demokritos; oder, Hinterlassene Papiere eines lachenden Philosophen (1843) gründlich recherchiert. Warum ausgrechnet in diesem Buch hat der JB sich nicht die Mühe gegeben um es weiterzuerfahren. Auf jeden Fall gibt der Herr Weber ausreichende Informationen über alle Syngtamen, die mit dem Furzen zu tun haben. Also nicht nur das herrliche "péter plus haut que son cul = höher als seinen eigenen Arsch furzen < hochnäsig sein", aber auch, und überhaupt die leckeren frittierten Nonnenfürzchen, über welchen der JB hier damals geschrieben hatte:




Voilà la parenthèse allemande est refermée. JB peut revenir à son énigme sur le péteur ou le péteux d'église.
revenons à présent au français et à ce dilemme liminaire qui opposait le péteur au péteux.
Rappel des événements précédents.
Le Robert soutenait que la locution originelle se composait à partir du substantif péteux d'église alors que le TLF et l'Académie parlaient de péteur d'église. Que disent les autres?

Le Dictionnaire critique de la langue française (1788) Jean-François Féraud donne une version identique aux deux derniers:



Furetière est quant à lui plus précis dans son Dictionnaire universel (1690), mais parle aussi de péteur d'église:



Même Richelet (ça alors!), qui s'est pourtant acharné à évincer tous les mots triviaux de son dictionnaire (1680) retient la locution. Et c'est lui qui en indique l'origine.


Seulement voilà. JB est en mesure de confondre Richelet dans sa mauvaise foi désormais légendaire puisqu'il a retrouvé l'ouvrage duquel les vers sont extraits. Il s'agit effectivement de Les satires de Mathurin Régnier (1608 à 1613), mais… mais voici le pot aux roses:


Et oui, et JB sait que ses petits amis en restent cois: Richelet a modifié la citation. Oooh! Quel scandale lexicographique! Quelle hérésie linguistique!! Quel sacrilège sémiotique!!!

Quoi qu'il en soit, l'abbé Charles Batteux nous explique dans ses Principes de littérature (1763) qui était le Mathurin Régnier en question:


Puis, citant ce péteux d'église, il ponctue son analyse par cette remarque critique pas piquée des hannetons:


Mais JB n'est pas au bout de ses surprises. Car, dans un livre tonitruant intitulé Bibliotheca scatologica (1846), il retrouve sa nouvelle locution favorité, mais il en apprend une nouvelle, la première de la liste ci-dessous:



Alors certes, la locution a cours, mais la littérature l'a-t-elle retenue?
Et comment!
On peut même faire des rimes et composer une jolie "chanson" intitulée:


Elle est intégrée dans ouvrage du nom de Le vilebrequin de Me Adam, menuisier de Nevers, écrit par un certain Adam Billaut en 1663, et se termine par ces vers implorants et somme toute d'une pauvreté assez confondante:



Et c'est sur ce "gros péteur d'Église" que JB aimerait quitter ses petits amis. En rappelant à leur bon souvenir un autre "gros péteur", mais celui-ci pas "d'église" mais de cinéma porno. JB a nommé Elmer Fishpaw, interprété par David Samson, dans le film de 1981 de John Waters, Polyester, où brillait la merveilleuse Divine († RIP). À l'époque où JB a vu le film, c'est-à-dire en… fy faen!!! en 1986!!!
Il était projeté en odorama. Puisqu'il s'agit d'un film odorifère. Les spectateurs se voyaient remettre au début de la séance une carte qui n'était pas sans rappeler une carte de loto ou de bingo et, ainsi qu'on le verra dans cet extrait, chaque fois qu'un numéro clignotait sur l'écran, il fallait gratter l'équivalent sur le carton. La salle hurlait parfois en songeant à ce qu'elle s'apprêtait à humer. Comme maintenant:

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