mardi 3 mai 2011

à face de hyène

Et JB, traduisant le syntagme "un rire nerveux" cherche un synonyme qui lui plairait davantage. Il va donc consulter dans le TLF le substantif rire, quand son œil est attiré par les constructions analogiques suivantes (et c'est lui qui souligne):

a) [À propos d'un animal] Cri aigu et saccadé qui rappelle le rire de l'homme. Le rire de la chouette, de la fouine, de la hyène, de la mouette, du singe.

Là, le sang de (l'abbé) JB ne fait qu'un tour. Et il… ricane tout seul dans son palais socialiste. Avant d'expliquer la raison de cette hilarité, JB souhaite faire entendre à ses petits amis le son du rire de la hyène dont il se doute qu'ils ne l'ont pas en tête. Attention, il y a un trucage — pas au début, mais au milieu.



Hö hö hö! Voilà qui devrait plaire aux ours en peluche de la grotte, songe JB rêveur…

Alors pourquoi JB glousse-t-il en lisant puis entendant "le rire de la hyène"?
C'est qu'il se souvient de ce week-end pascal qu'il a passé récemment avec son cher ami É. Que faisaient-ils? Dans le souvenir évanescent de JB, ils étaient sur la terrasse de l'hôtel où, forcément, JB buvait une bière et fumait une des cigarettes tout en ne quittant pas du regard un monsieur dans la pistoche extérieure, occupé à faire des longueurs. (Après, JB avait voulu faire le fanfaron en imitant le nageur, ce qui avait occasionné chez un Saxon en face de lui et bien au chaud, un rire non pas nerveaux mais narquois. Peuh! De fait, l'eau était froide.)
Bref.
Toujours est-il que É et JB sont sur le balcon (personne ne tombe à l'eau, donc on ne demande pas qui il reste), quand É demande à JB s'il se souvient de l'expression hilarante qu'avait leur ami commun de l'époque?
Cette expression, qui les fait encore une fois hurler de… rire et de jubilation, c'est:

le capitalisme à face de hyène

Et donc, en voyant le syntagme le rire de la hyène et en repensant à la métaphore sus-citée, JB se demande d'où vient cette dernière et se met illico en quête de ses occurrences dans gougueule. Il est intimement persuadé qu'il s'agit d'une invention. Or le moteur de recherches lui recrache deux résultats:


Ça alors! s'exclame JB in petto devant son ordimini.
En limitant sa recherche sur la comparaison "à face de hyène", JB obtient cette fois 30 résultats, qui souvent se recoupent. Il n'en faut pas plus à JB pour jubiler.
Car quels exemples trouve-t-il? L'un, datant de 1927, tiré du magazine La révolution surréaliste, dans un article signé Paul Éluard et Benjamin Péret. Et de qui parlent-ils? Bingooo: Sacco et Vanzetti. Mais qui est la hyène, en l'espèce? Re-bingooo! La Rance! Mais siii!!!


Mais il y a encore encore mieux et encore plus ancien: 1870. Et JB ne jubile plus, il est carrément hystéro. Car d'où est tirée la métaphore cette fois? JB le donne en mille à ses petits amis. D'un opuscule signé d'un certain Rosez (mais on suppose qu'il s'agit de Camille Lemonnier) et dont le titre est… est… est… Bingooo! Paris-Berlin! Et qui la hyène désigne-t-elle? Re-bingooo! Paris. On lit incontinent la page 19:


"(…) les luxures à face de pourceau"
Hö hö hö!
Celle-là, JB la ressortira. Et même plutôt deux fois qu'une. Ça pourrait d'ailleurs être un jeu, tiens… Essayer, dans les dîners, entre la poire et le fromage, de placer la locution "les luxures à face de pourceau"!

Trêve de bêtises.
Car JB se demande: pourquoi la hyène? Dans le souvenir (évanescent, toujours) de JB, la hyène n'est pas laide. Regardons-là de plus près:


Oui, pourquoi tant de hyaine, øøø… Pourquoi tant de haine contre la hyène? Elle est mignonne, vue comme ça. En plus elle est utile car elle débarrasse les carcasses d'animaux morts.
Pour trouver la réponse, JB se plonge dans ses dictionnaires.

Le Robert des expressions et locutions ne recense pas de métaphore en lien avec la hyène. Son cousin, portant le même patronyme mais étant historique de la langue française, copie allègrement ce que le TLF avait dit avant lui (toute la première partie est carrément carottée — ho!):
◊ Le mot s'emploie au figuré (Balzac, 1835) au sens de “personne d'un naturel bas et féroce”, la hyène ayant la réputation d'être à la fois féroce et craintive, ne s'attaquant qu'aux animaux blessés ou malades.

Ce serait donc ce cher Balzac (décidément… après “la peau de chagrin”, la hyène!) qui aurait le premier comparé l'humain à une hyène. Et il l'a fait dans La Fille aux yeux d'or, à la page 353, précise le TLF. JB a retrouvé le passage en question:


Bon. Ce mystère étymologique et sémantique expliqué, JB peut revenir à son "capitalisme à face de hyène" qui lui plaît décidément.
Car, ici, la face de hyène désigne une réalité politique et idéologique.
JB décide donc d'élargir sa recherche dans gougueule et de taper: capitalisme + hyène. Et là, il en trouve des réponses. Et des truculentes!!!
Notamment ce commentaire d'un certain lancetre sur le forum de rue89 qui fait pisser de rire (de hyène) JB:


L'expression semble être coutumière dudit lancetre puisqu'il la réutilise à une autre occasion.
Seconde occurrence que JB affectionne tout particulièrement, celle-ci, trouvée sur un blog baptisé soviet suprême:


Pour JB, c'est une double, triple, quadruple réjouissance:
• il est comblé, lui qui refuse bec et ongles de retourner aux États-Unis, en anti-américaniste (très très très) primaire
• il cherche l'explication de “capitalisme à face de hyène” et tombe sur un exemple concernant l'architecture réaliste-socialiste, lui qui l'adore et qui vit dans un palais socialiste de RDA (confer supra)
• il effectue cette recherche à la suite d'un bon moment de rigolade (de hyène) avec son cher ami É qui, en venant pour l'occasion le voir dans son palais socialiste, lui a offert l'ouvrage de Frédéric Chaubin, récemment publié aux éditions Taschen, CCCP: Cosmic Communist Constructions Photographed, somme documentaire dont JB se repaît quasi tous les jours
• il est quadruplement aux anges car, pas plus tard que ce matin, son journal chouchou, la TAZ, faisait une critique (très élogieuse) de l'ouvrage en question

Autant de raisons, et surtout de magnifiques coïncidences comme JB les révère, qui nous obligent à regarder la vidéo expliquant et montrant l'ouvrage:




Après cet interlude, JB revient à sa la "face de hyène".
Et, là, re-re-re-re-re-bingo, une occurrence dégotée sur le site du… PCF d'Aubervilliers. Du PCF! Dans le 9-3! Yo, camarade!


Ça y est. Le souvenir de JB n'est plus évanescent du tout. Il se rappelle à présent que l'ami commun qu'avaient É et lui avait expliqué à JB qu'on employait l'expression “à face de hyène” avec le terme impérialisme. JB n'en mettrait pas à sa main à couper, mais il est à peu près certain de ce qu'il avance.

Mais JB trouve encore mille fois mieux que tous les trésors qu'il a dénichés jusque-là.
Car qui a parlé des "hyènes capitalistes"?
Qui?
Rosa Luxemburg.
Et JB se fout de savoir si elle était la première ou pas; pour lui, elle l'est définitivement. JB, jamais à court d'une exagération, est prêt à verser dans le mensonge étymologique et affirmer haut et fort que Rosa Luxembourg a, la première, associé les capitalistes et les hyènes et leurs sales faces.
Ce passage se trouve dans la fameuse Brochure de Junius, rédigée en prison. On lit (et c'est JB qui souligne et colorie en (forcément) rouge):

Cette folie cessera le jour où les ouvriers d'Allemagne et de France, d'Angleterre et de Russie se réveilleront enfin de leur ivresse et se tendront une main fraternelle couvrant à la fois le choeur bestial des fauteurs de guerre impérialistes et le rauque hurlement des hyènes capitalistes, en poussant le vieux et puissant cri de guerre du Travail:

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!

Ah ouais… Ça aussi c'est pas mal:
le rauque hurlement des hyènes capitalistes
Celle-là aussi, JB la replacera.

Néanmoins, comme JB ne croit que ce qu'il voit (lui qui est le Saint-Thomas de la linguistique), il va vérifier dans l'édition originale allemande, et trouve exactement la même chose:

Der Wahnwitz wird erst aufhören und der blutige Spuk der Hölle wird verschwinden, wenn die Arbeiter in Deutschland und Frankreich, in England und Rußland endlich aus ihrem Rausch erwachen, einander brüderlich die Hand reichen und den bestialischen Chorus der imperialistischen Kriegshetzer wie den heiseren Schrei der kapitalistischen Hyänen durch den alten mächtigen Schlachtruf der Arbeit überdonnern: Proletarier aller Länder, vereinigt euch!


Quelle énième coïncidence en cette journée et quel bonheur que cette journée!
JB finit son explication sémantique par Rosa. Rosa qui orne son mur! Rosa qui étudiait les fleurs dans cette prison où elle a écrit la Brochure de Junius et pestait contre ses amies en leur écrivant vertement qu'elle avait plus de plaisir à soigner ses fleurs qu'à lire leurs lettres. Rosa que tout le monde a essayé de faire taire mais qui ne s'est jamais tue. Rosa qui boitait. Rosa qui n'a aimé qu'un seul homme qui ne l'a pas aimée. Rosa qui parlait des "hyènes capitalistes".

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