mercredi 9 février 2011

Un alcoolique de salon

Et JB, qui n'a bu que du café noir sans sucre et sans lait depuis ce matin ("— J'vous l'jure, madame! —Ah, Marie-JB, ne jurez pas! — Mais j'vous jure que j'ai jamais couché avec un garçon!"), JB tombe donc sur un mot suédois qu'il ne connaissait pas:
salongsberusad
Une composition adjectivale qui repose sur le substantif salong = salon et le participe passé adjectivé berusad = enivré. Comme toujours dans les mots composés des langues germaniques, c'est le second lexème qui l'ordre de lecture donc le sens de la compréhension et, partant, le rapport sujet/objet. La traduction littérale de l'adjectif sera donc en français le syntagme:
enivré de salon < enivré dans les salons
Ouiii… C'est-à-dire?

On recommence.
Que faut-il entendre par salong? Auquel, on le voit, est adjoint le S du génitif saxon pour montrer l'appartenance et signaler un mot composé (ce n'est la seule manière d'en créer un en suédois, mais ce n'est pas le sujet de ce post).
Salongs- est la copie suédoise de notre locution adjectivale de salon, dont le TLF nous précise le sens:
b) Loc. adj., souvent péj. De salon
− [En parlant d'une pers.] Qui fréquente le monde et aime les mondanités; p. ext., qu'on ne peut prendre au sérieux. Femme, homme de salon; officier, politicien de salonDes républicains comme Mme de Staël et comme Benjamin Constant sont des républicains de salon, des raffinés (Sainte-BeuveChateaubr., t. 1, 1860, p. 78).

Suivent quelques exemples que JB reproduit:
♦ En partic. [En parlant d'un artiste, d'un écrivain, etc.] Dont les œuvres s'adressent à un public mondain; p. ext., dépourvu de talent, qui doit sa notoriété à ses relations mondaines. Écrivain, portraitiste de salon
♦ [En parlant du comportement soc.] Propre aux gens du monde, relatif aux réunions mondaines; p. ext., superficiel. Conversation, mœurs, vie de salon
Succès de salonSuccès mondain. 
♦ [En parlant d'une discipline artist., intellectuelle] Pratiqué dans les salons, apprécié d'un public mondain; p. ext., qui manque de sérieux. 
Comédie de salonComédie interprétée par des amateurs dans les réunions mondaines. 
Danse de salonDanse de divertissement pratiquée dans les soirées mondaines.

Enfin, le préféré de JB qui, comme chacun le sait, à derrière une carrière olympique fulminante question tennis de table:
Tennis de salon (vx). Ping-pong. Un jeu nouveau fait fureur, en ce moment, en Angleterre [.c'est le ping-pong, qui n'est pas autre chose qu'un tennis de salon (L'Illustration, 25 mai 1901, p. 340 ds Quem. DDL t. 33).

Donc tout ce qui est salongs- est de salon, bref: mondain, snob, affecté, apprêté, fat, etc. Et, de la même manière qu'en français, les mots ainsi composés en suédois sont "péjoratifs". Et cette composition a véritablement connu une fortune lexicographique en suédois puisque JB a compté… cent mots ainsi formés (100 !!!) recensés dans le Dictionnaire de l'Académie suédoise. Ce qui est hénaurme! Et encore, JB n'a dénombré que les termes péjoratifs et non ceux qui entrent en composition pour créer un mot qui se rapporte au salon en tant que tel (table, chaise, assiette, etc.).
C'est sans équivalent dans les autres langues scandinaves continentales (danois et norvégien), ce qui, en termes d'ethno- et de psycholinguistique, nous en dit long sur les habitudes suédoises: la Cour et la bourgeoisie avaient donc dans ce pays une place plus prépondérante; il était de bon/meilleur ton de se montrer en société et d'y étaler sa culture (quelle que soit la nature et la qualité de celle-ci).
De même, cela en dit long sur une certaine schizophrénie scandinave et plus particulièrement suédoise. Avec salongs-, on a la parfaite illustration qu'un phénomène linguistique va de pair avec une phénomène social et sociologique. D'une part il faut briller en société, mais d'autre part on a tout à fait conscience du ridicule de la situation. D'une part on veut s'élever, d'autre part la société est là pour nous en empêcher (la fameuse Loi de Jante que l'écrivain dano-norvégien Aksel Sandemose théorisera dans son roman). Cette société à la fois pétrie du piétisme luthérien qui fige l'existence humaine dans le péché éternel, et en même temps soucieuse d'égalité (ce n'est pas pour rien que les Scandinaves ont mis en place la social-démocratie).
Voilà pour la morphologie et l'ethnopsychologie sur laquelle on reviendra tout à l'heure.

À présent le troisième sens du substantif suédois salong.
Et c'est toujours le Dictionnaire de l'Académie suédoise qui nous renseigne:


On commence par le troisième et dernier sous-sens du troisième sens (øøøh… ils suivent, les petits amis de JB?) puisque c'est celui-ci qui pose problème dans la traduction:
c) désigne une forme de léger enivrement.
Et on voit tout à fait de quoi il est question. La traduction littérale, “enivrement de salon”, désigne cette ivresse que l'on atteint quand on a légèrement bu, quand on a bu juste ce qu'il faut pour à la fois pouvoir continuer d'avoir une conversation, mais pour ne plus être dans un état tout à fait normal. C'est l'emploi contemporain de gai en français, voire un peu gai (dirait JB, de façon immédiate, sans chercher plus avant). L'équivalent sémantique se retrouve dans notre langue par les locutions “en avoir un petit coup dans l'aile/le nez” ou “je suis un peu pompette”.
Le Wiktionary suédois donne pour sa part la définition suivante (et c'est JB qui souligne):


C'est-à-dire:
sous l'emprise (légère) de l'alcool; gai, mais qui considère avoir toujours la maîtrise de ses actes.
Et donc on retrouve gai. Dont le Robert en 6 volumes nous donne la définition suivante:
Dont la gaieté provient d'une légère ivresse. Au milieu du repas, il commençait à être gai. Je n'étais pas ivre, simplement un peu gai! -> Éméché, émoustillé, gris.
Première constatation: on est dans la même signification: l'ivresse est dans les deux cas "légère".
Deuxième constatation: on aurait tendance à employer l'adjectif, comme JB l'a fait plus haut, avec le quantificateur un peu. La valeur est-elle alors positive ou négative? Le sens est-il alors ironique ou volontairement pudique?
Troisième constatation, si on en doutait: on n'est pas ivre quand on est gai.

Et, si le dictionnaire Norstedts suédois/français confirme le sémantisme en indiquant pompette et éméché comme traductions en français, JB constate, après avoir vérifié sur gougueule, que pas mal de Suédois ne connaissent pas le mot. Il faut donc trouver un équivalent en français qui restitue tant la valeur sémantique que l'aspect désuet du terme. Sachant enfin, précise le Dictionnaire de l'Académie suédoise, que le vocabulaire de cette langue possède deux mots:
– (3 b γ) SALONGS-BERUSADp. adj. (vard.lätt l. lindrigt berusad. (1888).
– (3 b γ) SALONGS-FYLLAr. l. f. (mera tillf., vard.) jfr -berusning (1879).
Fylla désigne pour sa part, l'ivresse, quelqu'un de véritablement soûl. Ce qui implique que non seulement la langue fait une distinction entre les deux états, distinction qu'il faudra par conséquent également faire en français; mais aussi que, pour continuer de dérouler notre pelote ethnolinguistique, l'ivresse en public, lors d'une soirée, est un phénomène suffisamment courant en Suède pour que le vocabulaire exprime par une richesse lexicographique une réalité sinon anthropologique, en tout cas sociale.

Alors, comment traduire?
Le Wiktionnaire français donne tipsy comme équivalent de salongsberusad:


Tipsy est absolument parfait. La représentation qu'on a de l'adjectif est cet état de légèreté, une ivresse douce et agréable en somme, lorsqu'on se surprend à tituber un chouïa mais sans s'effondrer par terre non plus.
Et, comme on le voit, éméché et gris sont listés comme traductions françaises immédiates. Histoire de cerner définitivement le vocabulaire, JB consulte enfin la base CRISCO des synonymes, qui lui indique non seulement les candidats potentiels mais la proxémie (c'est-à-dire, la hiérarchie synonymique au niveau du sens):


JB doit donc choisir entre 5 adjectifs:
gris, gai, pompette, éméché et ivre.
Pompette ne convient pas car d'un registre trop populaire par rapport à salongsberusad qui a, JB le rappelle et insiste, des accents désuets.
Ivre ne convient pas non plus au niveau du sens car la personne est alors soûle alors que son enivrement doit être "léger". Enivré fonctionnerait à la rigueur si l'équivalent suédois était salongsfylla.
Éméché va également a priori trop loin dans le taux d'alcool qui coule dans les veines de l'individu en question:
II.− Emploi adj. [En parlant d'une pers.] Qui est dans un état voisin de l'ivresse. Synon. gai, gris.
Restent donc, encore une fois donnés comme synonymes gai et gris.

Prenons le premier dont on a lu plus haut la définition du Robert et dont voici celle, ainsi que les emplois lexicographiques qu'en donne le TLF:
a) Qui est mis de fort bonne humeur par un excès de boisson(s) alcoolisée(s); légèrement ivre. Synon. éméché. Être un peu gai. Ses yeux brillaient. Il était gai, assez gris (MilleBarnavaux, 1908, p. 250). Nous étions tous gais, mais Sénac était ivre, parfaitement ivre (DuhamelDésert Bièvres, 1937, p. 137).
JB ne voudrait pas couper les cheveux en quatre, mais la définition est un poil contradictoire: si on a bu par "excès", on n'est pas "légèrement ivre", on est carrément bourré.
De plus, ainsi que JB l'a souligné, on retrouve l'emploi de l'adjectif introduit par le quantificateur un peu. On voit également la nuance dans l'exemple entre gai et gris, puis entre gai et ivre.
Alors? Un peu gai? Oui? Non?
Non.
Pourquoi?
Primo parce que un peu gai n'est pas assez vieillot, eu égard au sens suédois. Secundo parce que le syntagme ne fonctionne pas dans la langue littéraire de Sara. Tertio parce qu'il ne convient pas non plus dans le contexte narratif qui voit le père rentrer au petit matin au volant de sa Jaguar: "salongsberusad i en solkig skjorta och bucklig hatt", précise même Sara. Et, ainsi que JB vient de le colorier, l'effet lexicographique est renforcé par un effet rythmique.
Du coup, un peu gai est… un peu trop (!) immédiat, un peu trop trivial par rapport à la structure poétique et narrative du texte. Comme en plus, il est décalé en terme de registre de langue, il ne reste que la signification à mettre dans la et dans sa balance. À trois contre un, un peu gai passe à la trappe traductionnelle…

Reste donc gris.
Et gris n'est pas si mal, trouve JB. Voire pas mal du tout. Que nous en dit le TLF? Peu ou prou ce que JB expliquait plus haut:
Fam. [En parlant d'une pers.]
A. − Qui est plus ou moins ivre. Synon. éméché, pompette (pop.).

Gris n'est pas donné comme "familier" par les deux dictionnaires des synonymes de Henri Bertaud du Chazaud, mais plutôt comme "neutre" au niveau du registre de langue — et JB s'étonne au passage qu'il y ait très peu de synonymes "neutres"; très vite, on tombe dans le registre populaire ou familier, il y voit là une donnée ethnolinguistique sur l'alcool qu'il continue ici de dérouler et finira plus bas pour utiliser pour terminer son canevas linguistique.
Bertaud du Chazaud donne également pris de boisson. Que JB adore évidemment et qu'il choisirait si, là encore, le syntagme n'était pas hyperbolique au niveau du sens.
Gris dont le Robert historique de la langue français nous indique au passage qu'il est emprunté dans les langues romanes au saxon (= gris), donc aux langues germaniques (confer ce que JB vient de dire et sur quoi, donc, il reviendra) non sans ajouter, et c'est JB qui souligne:
Un emploi spécial aujourd'hui vieilli s'applique aux personnes “près d'être d'ivres” (attesté en 1690), sans doute parce que dans cet état les choses apparaissent comme une grisaille, un brouillard.
Aha.
Et c'est l'adjectif qui a ensuite donné les verbes griser et dégriser, de même que le substantif griserie, attesté en 1838 et signifiant "légère ivresse".
Oui.
Afin de restituer la désuétude du terme et donc susciter le même étonnement amusé chez le lecteur français, JB pourrait faire une périphrase qui emploierait non pas gris mais griserie.

Que dit le Robert en six volumes de griserie?
Eh bien il ne le donne pas en tant que synonyme d'enivrement mais indique:
Excitation comparable aux premiers effets de l'ivresse -> Étourdissement.
Et si ce double sens, l'analogie qui associe désormais le substantif à "l'exaltation morale" et l'éloigne de son sens premier qui pour par sa part renvoie à l'enivrement n'était pas, plutôt qu'un inconvénient, un vrai avantage?
Que va faire le père dans le roman de Sara? Il va aux putes. Et il va, peut-être, peut-être, incendier des forêts. Tuer des gens, peut-être. Ces promenades nocturnes quotidiennes le mettent dans un état proche de la transe.
Oui, décidément, griserie peut convenir.
Si le sens est vieilli, qu'en dit le Littré (et c'est JB qui bleuit)?


"Une demi-griserie"???
Tiens donc…
Et si JB employait ce terme?
Quand il cherche dans gougueule, il obtient notamment deux résultats signifiants:
• Tiré de Les Désanchantées de Pierre Loti (1906):
On lui apporta le sien, avec des petites braises vives sur les feuilles du tabac persan, et bientôt commença pour lui, comme pour tous ces autres qui l'environnaient, une demi-griserie très douce, inoffensive et favorable aux pensées.
• Tiré à présent de Le premier accroc coûte 200 francs (Prix Goncourt en 1944, apprend JB) d'Elsa Triolet:
C'était une continuelle surprise-party, avec des rencontres-surprises et le poulet en gelée-surprise, sans limite d'heure, dans la demi-griserie de l'alcool, de la fatigue, de la musique qui m'a toujours émue plus que l'alcool ou un homme.

Oh oui, décidément!
Si bien que la traduction donnera:
(…) je devais alors m’attendre à le voir rentrer à l’aube, dans une demi-griserie, la chemise tachée et le chapeau cabossé.
voilà.
C'est par-fait!
On ne change rien et on ne bouge plus.


JB n'en a pour autant pas tout à fait fini avec le salong.
S'il revient aux définitions du terme suédois, il obtient les deux premiers sens suivants, en commençant encore une fois à l'envers et cette fois par le sens b):
b) désigne un individu (faussement) distingué, élégant, affecté, falot, oubliant la réalité, ou quiconque donne cette apparence, ou encore une personne de la bourgeoisie [en suédois: de la "classe dominante"].
-> ce sens 3 a est l'équivalent de notre B 1 b français cité supra. Il a donné quantité de mots composés qui désignent tant les gens que les œuvres artistiques, notamment. On trouve par exemple le salongsfilosof qui correspond à notre “philosophe de salon”.
De toutes ces compositions, JB cite ses préférées qui, à l'instar de l'exemple précédent, sont construites à partir de termes empruntés au français et leur ajoutent ainsi une touche non seulement désuète (quel(le) Suédois(e) comprend exactement le sens aujourd'hui?) mais soulignent le snobisme ridicule qui sous-tend le sémantisme:
– (3) SALONGSBILDNING < littéralement: "éducation de salon", c'est-à-dire la culture (ou plutôt le vernis culturel) que l'on est censé avoir pour briller en société.
– (3) SALONGSBLASERAD < littéralement: "blasé de salon", c'est-à-dire quiconque prend cet air blasé qu'affecte notamment d'avoir le "lion de salon" (= Salongslejon, un syntagme qui existe aussi en allemand: Salonlöwe), à savoir une espèce de sybarite si on veut trouver une valeur sémantique équivalente en français.
– (3) SALONGSIMBECILLITET < fastoche: "imbécillité de salon"
– (3SALONGSLEENDE < "sourire de salon"


Le sens a) à présent:
a) désigne une personne qui se présente en société (ou dans un débat) comme partisan de certaines idées (notamment radicales) ou d'un certain programme politique défendant ces idées (et qui en fait volontiers étalage), mais qui toutefois ne participe en rien à l'élaboration de ces idées ou de ce programme dans la vie pratique (alors que, en l'espèce, on attendrait cela de cette personne); désigne également dans certains contextes les opinions d'une telle personne.

Et celui-là a connu également une certaine fortune lexicographique. Et non seulement en suédois, mais aussi en allemand. On liste d'abord les termes en question, qui n'appellent aucune traduction puisqu'on les comprend aisément:

– (3 b α) SALONGSLIBERAL (1891).
– (3 b α) SALONGSANARKIST (1897).
 (3 b α) SALONGSSOCIALIST (1897).
 (3 b α) SALONGSRADIKAL (1912).
– (3 b α) SALONGSKOMMUNIST
 (3 b α) SALONGSPACIFIST (1926).
 (3 b α) SALONGSNIHILIST (1931).
– (3 b α) SALONGSBOLSJEVIK (1935).
– (3 b α) SALONGSREVOLUTIONÄR (1938).

Le "communiste de salon" n'est pas daté, mais comme il apparaît en danois en 1920, on peut supposer qu'il doit intervenir en suédois plus ou moins à la même période.
Et il est intéressant de noter la fortune qu'a eu le terme pour désigner non seulement une position politique, mais aussi un individu situé à gauche de l'échiquier politique. Ainsi, on ne trouve ni “fasciste de salon” ni “nazi de salon” — ce qui, en soi, est définitivement réjouissant!

Cette fortune lexicographique, la langue allemande la connaît identiquement. Salonbolschewist fait toujours partie du langage courant.
Et, ce qui nous intéresse doublement, c'est que la langue française a éprouvé le besoin de devoir doubler la locution de salon d'une autre locution adjectivale, tout aussi péjorative, et formée quant à elle sur le substantif chambre:
 P. ext., iron. ou péj. Diplomate, politicien, stratège en chambre. Théoricien incompétent et inexpérimenté qui se permet de porter des jugements critiques en matière de politique, de guerre, etc. Moraliste, philosophe en chambre; politique de chambre :
Ainsi donc, en français, est de salon principalement l'opinion politique, est en chambre principalement l'exercice de cette politique.

Voyant cela, JB s'amuse à chercher les occurrences dans gougueule. Il ajoute à la liste supra les termes philosophe et intellectuel (en français, on dit "intellectuel de salon"). Enfin, il leur adjoint le substantif alcoolique, pour faire écho au salongsberusad (et tant pis si le sens est légèrement dévié), et il laisse ses petits amis se repaître de ce beau tableau éloquent avant de le commenter avec eux.


L'analyse des chiffres.
• On pourra s'étonner du faible nombre en français de "socialiste/communiste de salon". Cela s'explique par l'existence de de la ville de Salon de Provence dans les Bouches du Rhône qui fausse les résultats, puisque gougueule recrache alors toute une quantité de résultats qui ont à voir avec les militants de cette ville. JB a donc inséré "- provence" pour éliminer ces occurrences qui, sinon seraient respectivement de 3590 et 1540.
• Les termes radikal et liberal en suédois n'ont pas le même sens qu'en français et en allemand. Liberal s'entend dans son sens anglais, c'est-à-dire défenseur de la liberté et non dans le sens économique dans lequel l'entendent l'allemand et le français. Idem pour radikal qui en suédois a plutôt l'acception de extrême.
• Pour révolutionnaire: en allemand, on dit également revolutionär mais, dans le langage moderne, on dit Revoluzzer. En effectuant ce distinguo, les chiffres sont respectivement de 156 et 870, ce qui montre la vivacité de la composition.
• L'unique résultat en français de "bolcheviste de salon" n'est autre qu'une traduction de l'allemand, mot trouvé sur une page suisse. Le résultat réel devrait donc être équivalent à zéro.

Le commentaire des chiffres.
Ce qui frappe évidemment, c'est la différence entre d'une part l'activité philosophique et d'autre part l'opinion politique.
Ainsi donc, les Français voient le qualificatif péjoratif "de salon" désigner à merveille leurs intellectuels et philosophes. Alors certes, c'est dire à quelle point la réflexion philosophique a toujours eu une place de choix en France; mais cela montre aussi le peu de crédit que les auditeurs et lecteurs accordent à leurs têtes pensantes transformées en doxa, et/ou à quel point certain(e)s se sont érigés en philosophes et en intellectuel(le)s alors que leurs propos n'étaient au fond que des billevesées.
À l'inverse, les Allemands sont très préoccupés par les faux défenseurs des opinions et des pratiques politiques. Cela montre à quel point la pensée et l'action politiques ont (eu) une place de choix dans ce pays. Hé! Ce n'est pas pour rien si Marx et Engels étaient Allemands! On peut cependant s'étonner que les deux termes vedettes salonbolschewist et salonrevoluzzer, malgré leur usage toujours très contemporains, soient les plus représentés. Pourquoi pas salonkommunist, par exemple? Parce qu'il n'y a jamais eu de révolution sur la totalité du territoire allemand (si on exclut celle de 1848)? Mais alors pourquoi? Peut-être parce que l'Allemagne est une nation jeune, justement. Peut-être (c'est l'opinion de G à qui JB s'en est ouvert) parce que les Allemands s'intéressent d'abord à "compter leurs troupes". Et G de poursuivre: "Alors que vous, les Français, vous la faites, cette révolution!" Et comment: 23 100 occurrences de "révolutionnaire de salon". C'est énorme.
On peut aussi s'étonner, comme il en était question en début de ce post, du fait que ces termes ne concernent que des opinions politiques de gauche. JB a fait le test sur gougueule:


On peut aussi s'étonner en suédois du peu de compositions à partir de salong- et qui aient une acception politique alors même que le substantif a servi a former, comme dans aucune autre langue, tant et tant de termes.
C'est sans doute aussi parce que la langue suédoise connaît moult synonymes pour désigner le "socialiste de salon". On dit ainsi notamment rödvinsvänster, littéralement: gauche vin rouge. Le vin rouge étant en Suède la boisson des classes privilégiées (la classe populaire buvant de la bière). Et le Wikipedia suédois de nous donner d'autres synonymes: socialo (de) cocktail, socialiste foie gras (JB adooore!) ou bolcheviste de salon (donc),


Et on lit sans peine supra et on a pensé tout du long à notre très français et très marqué années 1980-90 gauche caviar.
Voire.
JB a découvert un nouvel outil sur gougueule. Il s'appelle la "roue magique" et est une sorte de dictionnaire des synonymes ou plutôt des cooccurrences, c'est-à-dire qui donne un mot associé à un autre. Et, quand on tape "socialiste de salon", on obtient le résultat suivant:


On peut également se demander pourquoi, en français, on obtient aussi peu de résultats par rapport à l'opinion politique. Sans doute pour la même raison qu'en suédois. Parce que la langue française a développé toute une liste de synonymes. JB a ainsi trouvé une insulte assez croquignolette pour désigner un "communiste de salon" qui donne une parfaite explication:


Tout est là. Ou plutôt: deux mots sont là: parisien et bobo. Le premier qualificatif montre l'éternel clivage entre Paris et la province et rejoint grosso modo la fortune des termes intellectuel et philosophe de salon. De la même manière qu'on "monte" à Paris même si on vient du Nord-Pas de Calais, on philosophe et intellectualise à Paris — ce que le poujadisme cristallisera et dénoncera comme personne (et que Raffarin, alors Premier Ministre, remettra au goût du jour).

Mais revenons à ce qui a fait l'objet de ce post: salongsberusad.
2330 occurrences rien que pour ce mot et 11 pour salongsfylla. C'est dire!
Mais c'est dire quoi?
C'est dire à quel point l'alcool a une place prégnante dans la société. Les Suédois semblent ne pas avoir assez de termes pour qualifier non pas le fait de boire, mais le niveau d'ébriété que la personne ivre a atteint. On sait que la consommation d'alcool était endémique à la fin du XIXe siècle. À tel point qu'une des premières actions politiques de la social-démocratie au XXe siècle a été de mettre en place le fameux systembolaget. La vente d'alcool était dorénavant non seulement encadrée mais un monopole d'État. Après la Seconde Guerre mondiale, on avait même des tickets pour acheter chaque semaine telle quantité d'alcool et pas une autre. Aujourd'hui encore, on ne trouve dans les commerces privés que de la lättöl, c'est-à-dire de la bière à 2,5° d'alcool maximum. Toutes les autres boissons alcoolisées ne peuvent être acquises que dans el systembolaget.

Sur ce, JB dit skål à tous ses petits amis. À savoir: Prost en allemand; tchin en français.

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