samedi 15 janvier 2011

Bert & Gert

Et JB, qui dînait hier soir avec son cher ami É dans le Kellerestaurant, le restaurant en sous-sol (la traduction) de la Bertolt Brecht-Haus, donc la maison où ont vécu Bertolt Brecht et Helene Weigel, un lieu que JB adore parce qu'on y mange divinement de la cuisine autrichienne (nationalité de Helene Weigel), parce que les aménagements intérieurs en bois sont typiques de ces restaurants berlinois qui ont quasiment disparus; parce qu'on y est à côté des scénographies miniatures, encastrées dans des boîtes elles aussi en bois et imaginées pour les pièces de Brecht; parce qu'on est dans la maison du couple, laquelle est sise juste à côté du cimetière où sont enterrées les sommités de la RDA, dont eux - et JB aime beaucoup ces tombes sommaires et simples:


Et donc JB se trouve dans le Kellerrestaurant en compagnie de É, ils attendent leur escalope viennoise, celle-ci vient, ils la savourent, É dit, voyant JB dévorer: "Tu avais faim", et JB de répliquer pour seule réponse: "Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral" — une phrase archiconnue et tirée de L'Opéra de Quat'sous (l'œuvre de Brecht fétiche de JB et fétichisée par lui), phrase qu'il traduirait ainsi: "La bouffe d'abord, la morale ensuite." On écoute la version originale, chantée dans l'adaptation cinématographique réalisée par Pabst en 1931, avec Lotte Lenja dans le rôle de Jenny, que JB vénère à jamais. Ah, oui… La chanson est intitulée en allemand Wovon lebt der Mensch? = Car de quoi vit l'homme?:



Des versions de la chanson, JB en a plein (comme d'ailleurs de toutes celles de L'Opéra de Quat' Sous — dont, soit dit en passant ils sont donc au nombre de 4 en français, de 3 en allemand et en anglais et dans la plupart des langues, mais 12 en norvégien et en suédois). Ses préférées sont celles de Georgette Dee et surtout celle de Tom Waits qui bénéficie d'une impeccable traduction en anglais (quand est-ce que l'œuvre va être retraduite en français?!?!? qui s'y colle?!?!?). Il y a en fait dans ce "deuxième final" deux phrases qui entreront dans la postérité tant littéraire que brechtienne. Celle ci-dessus, en allemand, donc: "Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral"; en anglais, "Food is the first thing, morals follow on"; en français, dans la traduction officielle: "La bouffe vient d’abord, ensuite la morale" — et à laquelle JB préfère définitivement la sienne: "La bouffe d'abord, la morale ensuite." Quant à la seconde, elle dit en allemand: "Der Mensch lebt nur von Missetat allein!"; en anglais: "Mankind is kept alive by bestial acts"; en français, toujours dans la traduction officielle: "L’homme vit de méfaits et de péchés", et la présence du mot péché, superflue (il n'est en réalité question que de méfaits), en dit peut-être long sur la culture catholique qui imprègne la langue vers laquelle la phrase est traduite.
Allez, on écoute Tom Waits:




Et JB s'étonne, en écoutant la version allemande de la chanson de voir au générique, dans le rôle de Mrs Peachum, le nom de Valeska Gert:


Comme c'est étrange, songe-t-il… Il est allé pas plus tard que mercredi dernier, avec G (bonjour, G!), voir à la Hamburger Bahnhof l'exposition consacrée à Valeska Gert. Ça alors! Quel merveilleux hasard, quelle superbe coïncidence pour JB, qui les adore. Toutefois, JB s'étonne: lui qui a vu plusieurs fois le Dreigroschenoper de Pabst, comment n'a-t-il pas pu se souvenir que Valeska Gert y jouait? On la voit ici:


Oui, pourquoi? Parce que JB était ébloui par Lotte Lenja?


Lotte Lenja et son air triste et buté et désemparé dans le film où elle joue Jenny:


Sachant que Mrs Peachum chante dans la pièce un autre morceau que JB, Die Ballade von der sexuellen Hörigkeit, JB cherche dans la réalisation de Pabst, mais ne trouve pas. Pourtant, il était persuadé que la chanson avait été reprise. mais non. Comme quoi les souvenirs nous jouent décidément des tours pendables. Quelles phrases aime JB dans cette chanson traduite en français par Ballade de l’asservissement sexuel? Celles-ci: "Am Abend sagt man: Mit mir geht’s nach oben. / Doch bevor es Nacht wird, liegt man wieder droben." Dans la traduction française que possède JB, de 1959 par Jean-Claude Hémery, la chanson s'appelle La Ballade de l'esclavage des sens et la phrase est ainsi traduite: "Le soir on se dit: “Tiens, je me sens tout chose”, / Et avant qu'il soit nuit on est chez Marie-Rose."
On en écoute ici une version de 1950:



Des autres versions que JB possède, il adore celle interprétée par Marianne Faithfull (de 1996) et celle par Nina Hagen (1999). mais elles ne sont pas disponibles sur toitube. Or, et JB en tombe presque de sa chaise, quelle est la traduit en anglais de la chanson. Bingo: The Ballad of Sexual Dependency. Et quelle exposition sont allés voir hier après-midi É et JB, avant d'aller au Kellerrestaurant? Celle consacrée au, dixit, "œuvres berlinoises" de Nan Goldin, et à voir à la Berlinische Galerie jusqu'au 28 mars (et il faut la voir absolument, entre autres parce qu'elle bénéficie d'un accrochage à tomber à la renverse, avec des cimaises monochromes pour chaque salle et un éclairage qui tombe magnifiquement sur les photos — c'étaient les conseils de JB pour M. qui va bientôt revenir à Berlin!). Et comment s'appelle une des œuvres fondamentales de Nan Goldin? Re-bingo: The Ballad of Sexual Dependency. Décidément, ces hasards et ces coïncidences… Allez, du coup, on regarde un extrait de ce film en diapos, ici projeté au MoMa en 2009:




JB résume toutes ces digressions:
Bertolt Brecht et Helene Weigel, L'Opéra de quat'sous, Valeska Gert. Valeska et l'exposition qui lui est consacrée à Berlin
Bon.
Mais que disait Valeska Gert de Helene Weigel, dans son autobiographie Je suis une sorcière?


Qui était Valeska Gert? Née en 1892 et morte en 1978, elle a visiblement (JB emploie cet adverbe car, avant l'exposition, il ne la connaissait pas) révolutionné la pratique de la danse.


Actrice, elle a peu tourné. Mais avec, excusez du peu, Pabst (donc) Jean Renoir, Volker Schlöndorff, Fassbinder, Fellini (on y revient):


Parmi les rôles qu'elle a joués, il y a aussi celui, également montré à l'exposition, joué dans Diary of a Lost Girl, encore de Pabst (1929), dans lequel joue… Louise Brooks. Et Valeska Gert d'incarner une espèce de surveillante sadique qui a hypnotisé JB mercredi dernier, et qu'il a le plaisir de pouvoir montrer:



Actrice, donc, elle est surtout célèbre pour ses performances. Dans l'exposition, JB a été fasciné par l'une d'elles, réalisée en 1969 et intitulée Baby, où elle reproduit un bébé d'abord en train de pleurer, m-puis qui se réconforte en suçant son pouce. Une image ici:


"Forgotten performer", dit donc d'elle le site d'informations allemand de Deutsche Welle. Et pour cause. Valeska Gert, de confession juive et qui a dû quitter l'Allemagne nazie, dira même dans son autobiographie:


Et JB se souvient aussi de cette émission de télévision réalisée dans les années 70 et montrée dans l'exposition, où elle est encore plus dure envers l'Allemagne.  Toujours est-il que, et JB manque d'entrer en syncope, Berlin lui a consacré une rue. Et où se trouve-t-elle, cette rue? JB le donne en mille à tous ses petits amis? À cinq minutes à pied de son palais socialiste. À C-I-N-Q minutes!


Valeska Gert écrit aussi cette phrase bouleversante:


JB répète: "(…) peut-être étions-nous trop sensibles pour la vie (…)"
Aaaah!!!
JB s'étonne pour la énième fois. Cela lui rappelle une phrase de Shaïne Cassim dont il ne saurait que trop conseiller les romans pour adolescents. JB est persuadé d'avoir lu un passage similaire. Il cherche dans l'œuvre complète de l'auteure, ne trouve pas tout à fait, mais presque. C'est dans Un jour, mon prince (le roman de Shaïne Cassim qu'elle-même préfère). Et en fait, la phrase se retrouve deux fois, écrite de deux manières différents.
La première, à la page 98:
Je reste dans mon lit car je ne peux affronter un monde rempli de tant de beauté.
Puis, à la fin du roman , publié en 2001, page 113:
J'éprouve moins de tristesse devant la beauté du monde.

Enfin, dans l'exposition, était montré l'extrait du film de Fellini, Giulietta degli spiriti (Juliette des esprits, en français), de 1965, qui est, JB l'apprend, le premier film en couleurs du réalisateur:


Quand il a vu cet extrait, JB était sidéré. Halluciné par ces images tout aussi hallucinées dont Wikipédia dit que Fellini les aurait tournées après avoir pris du LSD. Dans ce film, Giulietta, jouée par Giulietta Masina, est trompée par son mari. Évidemment, c'est elle qui en porte la faute et c'est ce que Fellini dénonce. Elle est déclarée folle. Et c'est cette folie que montre le réalisateur. Dans l'extrait où intervient Valeska Gert, il y a d'abord cette phrase qui a fait ses dresser les poils de JB


Giulietta va donc consulter une méidum, interprétée par Valeska Gert, et on se rend compte de son talent de performer. Une image d'abord:


L'extrait ensuite:




Et quand JB avait vu ces images, il avait aussitôt pensé à David Lynch. L'univers onirique, surréaliste, inquiet et hypnotique y était en tous points identiques. Or, ultime coïncidence, que trouve-t-il en cherchant le passage en question sur toitube, dans les vidéos conseillées sur la colonne de droite? JB donne ça aussi en mille à tous ses petits amis:


De fait, dans le film de David Lynch, Laura Dern va également consulter une médium, il y a également des rêves et des hallucinations, il y a également des images improbables et oniriques et hallucinées et hypnotiques. On regarde la bande-annonce pour en donner un avant-goût:




Il faut se quitter.
Et JB aimerait le faire avec une autre scène de Giulietta des esprits, quand une Giulietta Masina en larmes dit:


"No more suffering."
JB souhaite une belle et bonne journée à tous ses petits amis.

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