vendredi 17 décembre 2010

Austère et bistre

Il faut un petit moment à JB pour reconnaître le morceau qui résonne dans son cerveau au réveil, de la même manière qu'il reconnaît immédiatement les images qui sont projetées dans son crâne.

Celles-ci, d'abord. Celles de la pièce vue hier soir avec T, Mademoiselle Julie, de Strindberg, interprété notamment par l'actrice allemande chouchou de JB: Jule Böwe, dont il parlait pas plus tard que dimanche. Et ça fait quoi, cette impression d'avoir assisté à du jamais vu, du jamais montré? C'est presque euphorisant. La pièce en un acte est réduite à sa plus simple expression. Et pour cause: il s'agit en fait du tournage sur la scène d'un film adapté de la pièce. Avec caméramans, bruitistes, accessoiristes - où les acteurs sont tour à tour interprètes et aides de scène. On ne les entend quasiment pas parler, sinon lorsqu'ils jouent leurs répliques dans une cabine d'ingé son. Christine a une doublure qui copie ses gestes, filmés et projetés sur un écran en surplomb de la cuisine où se déroule cette pièce en un acte, tandis que les spectateurs ont sans doute du mal à fixer leur regard qui oscille entre l'écran, la scène, la cuisine, l'action théâtrale, l'action technique.


Les metteurs en scène (Kattie Mitchell et Leo Warner) ont choisi un spectacle naturaliste, ou plutôt, une représentation naturaliste de la pièce: les acteurs sont en costume, les spectateurs sont propulsés dans cette fin de XIXe siècle suédois, luthérien, piétiste, discriminatoire, inégalitaire, où la puissance d'une Église castratrice et la domination de classe étouffent les individu(alité)s. Tout y est joli et bien rangé, sobre et austère, rustique et bucolique: scandinave et protestant, en somme. Cette simplicité naturelle qu'on retrouve là-bas et qui finit par rendre fou à force d'être mignonne et agréable (hyggelig en danois, koselig en norvégien, gemütlich en allemand) - un monde dénué d'originalité et de folie, sans chichis et sans chaos, à l'image de leurs églises aux murs blancs dépourvus de décorations. Un monde tel que l'artiste danois Hammershøi l'a peint et dépeint dans des couleurs grisâtres, sépia, bistre, brunes: où les femmes étouffent dans leurs vêtements constricteurs, semblent éternellement montrées de dos et figées devant leurs fenêtres, calfeutrées dans des pièces d'où elles ne pourraient sortir; tout ce que Kattie Mitchell et Leo Warner restituent à la perfection, bien que en couleurs et dans des tons flavescents:


Et comme cette autre peinture de Hammershøi ci-dessous, ils filment les acteurs dans des couloirs, dans des recoins de pièces, lorsque la maison devient un labyrinthe dans les dédales duquel on serait à jamais enfermé, où chaque chambre, chaque passage ne sont que la continuation d'une seule et même cellule (pour filer la métaphore luthérienne: aussi bien monacale que pénitentiaire), où la lumière extérieure, aveuglante, vient renforcer l'obscurité neurasthénique des intérieurs propre(t)s:



Et c'est donc avec ces images que JB se réveille.
Mais c'est aussi avec cette musique qu'il se réveille. Qu'il n'identifie pas immédiatement, mais qu'il ne tarde pas à retrouver dans son mange-disques électronique. À savoir: How Long (Will It Take), de Pat Kelly:



Et si ce n'est pas cette version qu'a JB dans son ordimini, celle-ci, avec les violons, qui date de 1971 et non plus 1969, n'est pas mal non plus.

Du coup, la question que se pose JB de bon matin est la suivante:
Pourquoi Jule Böwe dans Mademoiselle Julie se superpose-t-elle à Pat Kelly dans How Long (Will It Take), que JB a certes écouté, non pas hier mais avant-hier?
Il écoute, il repense, il visualise.

Il écoute Pat Kelly:
As I try my best not to sigh
I still feel the tears on my face
I'm hated by you, and you're loved by me

Il repense à Jule Böwe:


Car jamais (lui qui a eu le bonheur de la contempler dans de nombreuses mises en scène) JB ne l'a vue aussi désemparée, jamais il ne l'a vue autant pleurer que dans cette pièce. À preuve, lors des applaudissements, son visage ravagé comme la photo ci-dessus. Et ce que chante Pat Kelly, c'est exactement ce qu'éprouve Christine (Jule Böwe, donc), dans la pièce de Strindberg, pour Jean tandis qu'elle le regarde aimer Mademoiselle Julie.

On ne va pas se quitter sur cette note triste, n'est-ce pas? Mais plutôt sur cette phrase de Pat Kelly: "So that my soul will be filled with joy", avec laquelle JB souhaite une bonne journée à tous ses petits amis.

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