samedi 9 octobre 2010

Le zigoto et le gigolo

Oui, du zigoto au gigolo, JB apprend de bon matin qu'il n'y a qu'un pas et que quelques consonnes, qui de surcroît cousinent avec le gigot et la grande gigue. Bref, c'est une histoire de cuisse légère et de fille facile qui nous fait côtoyer Betty Boop et le tango.

JB est toujours occupé par le futur chat d'Elling, le personnage d'Ingvar Ambjørnsen, et traduit:
Seulement voilà : je n’étais pas en quête d’un phénomène de foire ou d’un quelconque zigomar.
Intrigué par ce mot, zigomar, qu'il connaît de l'album pour enfants de Philippe Corentin (oui, JB est un grand enfant):


… il ignorait néanmoins que le terme, fixé en français sous sa forme substantivée en 1916, indique le Robert historique de la langue française, provient en réalité bel et bien de la littérature.
Déjà titre d'une aujourd'hui obscure pièce de théâtre de Léon Gandillot mise en scène en 1900, ce qui est à l'époque un patronyme a été popularisé par l'ouvrage La Bande des Zigomar, un roman d'aventures de Léon Sazie publié en 1909 et 1910, dont tel blog nous précise ici:
[Sazie] est surtout connu à deux titres: Le premier est l’invention d’un héros du nom de Zigomar, dont la première aventure date de 1909 et parut en 164 feuilletons dans le quotidien Le Matin. Zigomar, roi du crime zozotant, revêtu d’une cagoule rouge, à la tête de la bande des «Z» affronte l’inspecteur Paulin Broquet dans des aventures épiques avec une violence sans bornes. Le personnage de Zigomar est le relais entre deux générations – Rocambole, en amont, Fantômas, en aval.
Le voici:


Le personnage de Zigomar, quoique éclipsé par Fantômas que la postérité cinématographique a conservé dans la culture populaire (confer les adaptations de Jean Feuillade puis André Hunebelle, en attendant 2012 le remake par Christophe Gans avec Vincent Cassel dans le rôle-titre), connaît un succès populaire tel qu'il sera adapté à l'écran en 1911 - le Centre Pompidou a diffusé en 2002 les films. Le Zigomar de Sazie retrouverait presque une actualité franco-française, ou plutôt: ranco-rançaise - puisque, à en lire la présentation anglophone ci-dessous, on se dit qu'il devrait plaire aux tristes sires que sont les sieurs Besson et Hortefeux:


Mais revenons à l'étymologie à propos de laquelle le Robert explique:
Le mot a été formé à partir de zig ou du radical de zigouiller. Il désigne alors une bande de redoutables malfaiteurs. ◊ Puis, par influence de zig et de zigoto, il devient synonyme de ces derniers. ◊ D'emploi familier, il est sorti d'usage au sens de “sabre de cavalerie” qui concerne la valeur initiale évoquant zigouiller.
Quant au zig, il est attesté en 1835 sous cette forme, puis en 1867 sous la graphie zigue. Le Robert suppose qu'il "représente peut-être une déformation de gigue, au sens de “fille, personne enjouée”, la substitution de zi à gi imiterait un défaut de prononciation."
Aha… Un zigue serait une fille à l'origine?? Un zigue est en fait un trans? C'est ça que Robert nous explique? Déjà au XIXe siècle, on opérait celles qui étaient nées à leurs yeux avec un sexe qui ne leur convenait pas?!? Ça alors…

Si Bloch et von Wartburg, dans leur Dictionnaire étymologique de la langue française, vont dans le même sens, Gaston Esnault est plus nuancé dans son Dictionnaire des argots:
ÉTYMOLOGIE: ignorée. Un lien avec mézigue est douteux. Confer, en Beaujolais: Ziguette, nom pour une soubrette (1828) et mon ziguet!, “mon luron!” (1934).
"Mon ziguet!" Voilà une tournure que JB ne connaissait pas et qu'il va s'approprier fissa. Il va désormais appeler tous les garçons qu'il aime bien ainsi. Il leur dira: "Comment vas-tu, mon ziguet?
Bref.
Quant à mézigue, un pronom personnel qui signifie “moi” (et qui se décline ainsi: mézigue, tésigue, sézigue, nozigue, vozigue, leurs zigues), Gaston Esnault précise:
"Il se rattache à -zing- (voir mézingand), plus sûrement qu'il n'explique zig, n. m., “homme”, ou zigue, n. f., dans pas une zigue = rien."
Et le lexicographe d'insister sur le fait que le terme signifie très exactement “moi-même” et "n'est jamais atone": il ne peut remplacer ni le prénom personnel sujet (= je) ni le pronom personnel complément (= me). Ce qui, pour JB qui habite à Berlin, est du pain bénit linguistique puisque le dialecte berlinois possède un mot identique: icke (de ich = je), qui a le même emploi, la même nature, la même fonction grammaticale.
Mézigue vient donc de mézingand (attesté en 1632), lui-même dérivé mézière, lui-même dérivé de messière (attesté en 1566) et qui pour sa part se décline de la même manière que mézigue: messière/mézière, tessière, sézière, nozière (Coucou Violette!!!), vozière, sézières.

Bon.
Et nos zigomars et autres zigues, alors?
Entre les deux - puisque, comme le chantait Philippe Katerine en 1996: "Entre les deux mon cœur balance"
Tiens… on va d'ailleurs faire un intermède musical avec le sieur Katerine:




Entre les deux, donc, entre zigue et zigomar, se trouve zigoto, attesté en 1900 sous la forme zigoteau, et dont Gaston Esnault nous explique qu'il intervient dans la locution faire le zigoteau = faire le malin. Et il ajoute: "Le zig est énergique et sympathique, le zigoteau en est la caricature."

Mais revenons à ce qui nous faisait rigoler: le zigue comme créature transgenre, homme autrefois femme.
Transformation il y a en tout cas, même si elle n'est que phonétique, puisque le mot viendrait de gigue, dont le Robert nous dit:
GIGUE n.f. est tiré de gigot, d'après cuisse/cuissot; il s'emploie au sens de “jambe” (1650); le sens ancien de “fille gaie et enjouée” (1650) est sans doute lié à giguer “gambader”. Par métonymie, grande gigue signifie “fille grande et maigre” (1650, utilisé à Paris et en Normandie selon ménage). ◊ Gigue s'emploie aussi pour gigot dans gigue de chevreuil (1838).
Le mot ne semble pas péjoratif, donc pas de machisme sémantique à l'horizon (pour une fois!). Une ultime vérification dans le Littré confirme cette supposition. Ouf!

Attendez, mes petits amis. À ce stade de l'analyse, on a besoin de faire un petit résumé. Le zigomar est cousin du zigoto et viennent tous deux du zigue qui lui-même vient de la gigue qui elle-même vient du gigot.
Ce qui signifie: le rigolo > la fille > la cuisse.
La fille, la cuisse… se dit JB in petto: la fille facile et la cuisse légère, c'est ça?
Et JB qui était il y a deux secondes encore d'un optimisme sémantique un peu bravache déchante aussitôt en consultant d'abord le Robert des expressions et locutions qui lui indique:
Avoir la cuisse légère (ou hospitalière), se dit d'une femme aux mœurs faciles. L'adjectif léger est employé à cause de son usage (abstrait) dans le même contexte (fille légère). ◊ L'expression verbale lever la cuisse a aussi une signification traditionnelle érotique.
Et si aucun des dictionnaires ne fournit de date sur l'apparition dans le langage de cette locution, le TLF, dans le genre phallocrate, en rajoute une sacrée couche, confer:


Évidemment, seule une femme peut être légère et avoir la cuisse à l'identique. Un homme n'est pas léger: on dit que quelque chose est léger, qu'une femme est légère, mais pas un homme. Idem: un homme n'a pas la cuisse légère, au mieux, il a la bite lourde et le poing facile, comme l'expriment les locutions propres à différents registres. Ce qui est époustouflant tout de même est cette précision qui tue: "Évoque les activités sexuelles de la femme." Or, quand on ausculte les usages, on se rend compte qu'ils sont tous péjoratifs. Donc: la sexualité féminine serait, à en croire le dictionnaire, uniquement péjorative, pornographique, licencieuse, voire subversive et séditieuse.
On exagère?
Pas du tout!
Car si on en revient à notre analyse lexicographique et qu'on déroule notre pelote linguistique, on se rend compte que, donc: zigomar/zigoto > zigue > gigue > gigot < gigolo.
Oui, le gigot et la gigue ont donné le gigolo.
Mais attention! Parallèlement à gigolo, il y a… la gigolette.
Siii!
Et c'est là qu'il se cache encore une fois, notre machisme sémantique.

Voyons ce que nous dit le Robert historique de la langue française:
GIGOLO n.m. est un mot d'origine incertaine. Créé (1850) en même temps que gigolette n.f. (attesté seulement en 1864), gigolo et son féminin sont peut-être des dérivés de gigue “jambe, cuisse” et aussi “femme gaie, enjouée”; l'anglais giglet, giglot (av. 1325) “femme de mauvaise vie; jeune femme gaie” a peut-être influencé la formation des deux mots. ◊ Gigolo, qui signifie d'abord “amant d'une fille facile, d'une gigolette” se dit d'un jeune homme élégant dont les moyens d'existence sont suspects (1894) et d'un jeune amant entretenu par une femme (1901); gigolette signifie “fille délurée, facile”. Par substitution de suffixe, l'argot a créé gigolpince “maquereau élégant”.

On se disait bien qu'il fallait être sur nos gardes avec cette grande gigue…
Il faut s'arrêter une seconde sur cette définition. De façon aussi immédiate qu'empirique, on n'entend pas ou plus dans le terme gigolo de connotation aussi péjorative. Il y a dans le signifiant (= l'image acoustique) du terme, des accents nobles, de toute façon pas aussi dédaigneux que ce qui est à l'œuvre dans son féminin gigolette, tant dans son étymologie que sa définition. On en veut pour preuve les attributs qui qualifient les deux substantifs. Le gigolo est élégant, la gigolette est une fille délurée et facile.

On va tout de même vérifier l'étymologie anglaise sur le site etymonline:


Ça c'est passionnant!
Primo. Le terme anglais est donc un emprunt (1922) au français qui lui-même l'aurait importé de l'anglais. Le phénomène est connu en linguistique, dans quelque direction que ce soit (français>anglais>français ou anglais>français>anglais) - confer le jean français emprunté à l'anglais lui-même formé sur le français.
Secundo. La giglot en anglais moderne (XVe siècle) désigne déjà une fille de mauvaise vie, une traînée. Comme quoi la notion péjorative hante l'étymologie et le sens. Tout dans le signifiant et le signifié des termes gigue (< grande gigue) et gigolette est plombé par ce regard phallocrate posé sur la femme, laquelle est vouée à avoir la cuisse légère, à être une fille facile.

Pff… C'est à pleurer et on a besoin de consolation.
Inévitablement, en lisant le mot gigolo, on pense à la chanson de Louis Prima I'm Just A Gigolo - et on se dit qu'on la tient, notre consolation. Puisque, pour paraphraser Stig Dagerman: "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier."
Et, à sa grande surprise, JB découvre que la chanson est bien antérieure.
Elle est d'abord chantée en 1929, en allemand, par Kurt Mühlardt, et c'est un tango, intitulé Schöner Gigolo, à savoir: Joli/Beau gigolo. Si! On écoute sans plus tarder:



La chanson raconte l'histoire d'un ancien lieutenant qui s'est battu comme personne "in Fransen" (terme péjoratif pour désigner la France) et qui, de retour de la guerre (la première) est devenu… gigolo.
Comme l'indique Wikipédia, le morceau allemand a été d'abord composé à Vienne, sur des paroles d'un artiste italien, Leonello Casucci. Si on va les consulter en italien, on se rend compte que l'histoire est identique (celle du lieutenant revenu à la vie civile), sinon que ce dernier séduit une… Russe.
Et, en français, c'est donc Irène Bordoni la première interprète de la chanson et qui, de surcroît a introduit la chanson aux États-Unis. On regarde Betty Boop - siii! Betty Boop - on est en 1932. Si elle le chante au début en français, attention, elle le chante ensuite, environ à 3'40'', en anglais:



Génial, non?
Si on veut, on peut aussi écouter ici la version par Berthe Sylva - un must!

Et, comme nous l'indique aussi Wikipédia, il faut attendre 1956 et Louis Prima pour que la chanson devienne le standard qu'on connaît. Ci-dessous, avec Irène Bordoni et notre éternelle Betty Boop, mère cinématographique de Marylin Monroe:



Et si ça c'est pas génial, JB ne sait alors plus quoi faire pour ragaillardir ses petits amis.
Mais, et il l'a déjà dit, comme JB est juste et non-discriminatoire, il rend à César ce qu'il lui appartient, ou plutôt: à… Césara. Car le morceau de Louis Prima est en fait un medley qui, donc, mélange le He's Just a Gigolo, interprété en anglais par Irène Bordoni, et le I Ain't Got Nobody, popularisé aux États-Unis par Marion Harris, qu'elle chantait en 1916. On écoute, et on passe une excellente journée - d'accord?

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