dimanche 31 octobre 2010

Le portrait, les visages

Et l'autre jour, par hasard, JB est tombé sur ces 113 vidéos de l'artiste islandais Snorri Ásmundsson. Le principe est plus ou moins toujours le même: filmer de face quelqu'un, un homme, une femme, beaucoup d'Islandais comme lui, dans un contexte quelconque, en extérieur ou dans une pièce, pendant la même durée, c'est-à-dire 2'01'', sans que les personnes filmées ne disent quoi que ce soit. Souvent, mais ce n'est pas toujours le cas, ces gens regardent droit dans l'œil de la caméra et semblent tenter de relever ce défi qui consiste(rait) à garder un visage absolument impassible, dépourvu d'expressions. Ainsi du poète et écrivain Sjón que l'on regarde ci-dessous — et JB est fasciné par son regard derrière les lunettes années 60:



Parmi ces 113 vidéos, JB a une affection particulière pour celle montrant Lilja Birgisdóttir. Parce que le film s'oppose justement à la logique du portrait qui consiste à montrer le visage de quelqu'un. L'étymologie nous indique le portrait, la substantivation du participe passé du verbe pourtraire, lui-même formé à partir du suffixe pour et du verbe traire qui, à l'époque (XIIe siècle), signifie tirer et dessiner, implique donc l'idée, au départ, d'une représentation du visage pour dire l'ensemble, comme si une partie du corps (ici le visage) allait/pouvait nous révéler de façon parcellaire une vérité sur un ensemble (la personne, le corps, l'identité, etc.). Or, dans cette vidéo filmée en extérieur, sur un bateau, donc sur la mer et dans le vent, il faut attendre longtemps avant que le visage ne soit visible. Pendant près de la moitié du film, les cheveux recouvrent le visage, et donc ses traits, et donc sa vérité. À moins que cette vérité soit justement celle de cacher une partie et/ou le tout.



De même, les vidéos les plus réussies sont celles où le spectateur se voit au bout d'un moment forcé de s'interroger sur ce qu'il ne voit pas. À force de devoir observer un visage impassible, qui ne bouge pour ainsi dire pas, filmé qui plus est comme ici avec Halla Vilhjalmsdóttir dans une situation difficilement explicable en absence de l'environnement (est-elle suspendue? attachée? fixée?), on en vient à s'impatienter: qu'est-ce qui se passe derrière, à côté? Est-ce que ce qui se passe derrière, devant, à côté, au-dessus, en dessous, peut expliquer les raisons de ce filmage et, partant, de ce visage et de ce qu'il donne à (ne pas) voir?



Et, en l'espèce, la vidéo la plus étonnante est celle où Snorri Ásmundsson se filme — là, le principe de la vidéo atteint sa réussite totale. L'artiste regarde quelque chose. Quoi? un film? une vidéo? un jeu vidéo? Mais le son est étrange qui semble venir d'ailleurs. Et ce sans parler des couleurs qui changent sans cesse. Qu'est-ce que cela peut être? Et sur quel support est diffusé/montré ce spectacle? un écran de cinéma? un écran géant? un rideau tendu? Et où? dans une salle? dehors? dans un drive-in? ailleurs? Et pourquoi l'artiste est-il debout? Pourquoi ne réagit-il pas? Qu'est-ce que c'est ce collier qu'il a autour du cou? Ça ressemble à un passe qu'on donne à des gens qui participent à une manifestation artistique. Est-il à un festival? d'art? de cinéma? de musique?



Et au fond cela rejoint ce que disait JB au début de ce mois à propos notamment de Michael Haneke: le spectateur est plus acteur qu'il ne le croit, bien plus actif que passif, puisque c'est lui/elle qui va décider pour lui/elle de ce qu'il/elle voit.

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