samedi 23 octobre 2010

Le petit vampire

Et JB, qui parlait des chauves-souris en août dernier, (l'article du blog tatoué et fumeur le plus lu à ce jour! JB n'en revient toujours pas…) et évoquait brièvement le lien entre les chiroptères et les bestioles fantasmagoriques homonymes qui font toujours les grandes heures du cinéma et de la littérature; JB qui expliquait avant-hier s'être réveillé avec une chanson de Nina Hagen dans la tête tout simplement parce qu'il avait pensé toute la semaine à une autre chanson d'elle, Auf'm Friedhof, où il est question d'"un petit vampire" et du fait que "Blut tut gut" = "Le sang fait du bien"; JB qui avait hier rendez-vous au salon du boudin noir ouvrant ses portes dans Berlin, et qui a donc à sa grande joie ingurgité des litres et des litres de sang; JB qui lit aujourd'hui dans son journal une interview de Tilda Swinton, laquelle, à la question "Qu'est-ce qui vous fascine chez les vampires?" (puisqu'elle est en pourparlers avec une réalisatrice berlinoise pour jouer un rôle dans un film de vampires), répond: "L'immortalité. Les transformations incessantes. L'éternité." — JB, donc, s'identifie à fond fantasmagoriquement aux incarnations cinématographiques du vampire, et réellement tant avec le "petit vampire" de Nina Hagen qu'avec le petit mammifère d'Amérique latine qui, pour des raisons toujours aussi mystérieuses, s'attaque à certains humains mais pas à d'autres (tout comme le boudin noir est bénéfique à certains humains, dont JB, mais pas à d'autres), ainsi que le fait divers récent nous le rappelait - et dans lequel, donc, on voit un JB aussi ailé que poilu en pleine action:



JB, qui est depuis sa naissance l'ami des animaux et a eu dans son palais socialiste la visite d'un bourdon, d'une guêpe, d'un criquet, d'une araignée, d'un moineau, d'une pie et, donc, devant sa fenêtre, d'une chauve-souris - tout ceci étant richement documenté sur ce blog tatoué et fumeur -, s'intéresse à moult égards de très près à la vie du vampire, et ce d'autant plus en cette fameuse journée de foire au boudin noir où JB endossait les frusques du petit vampire.

De plus, comme JB, par nature et déformation professionnelle, est un lexicographe et un linguiste passionné, il considère, par voie de conséquence, que l'étymologie permet de mieux comprendre la nature et l'identité des entités désignées par les mots. Aussi donc, transformé lui aussi en petit vampire, il va consulter le Robert historique de la langue française pour mieux connaître sa seconde nature:

VAMPIRE n.m. a été emprunté (1746, dom Calmet) à l'allemand Vampir, lui-même du serbe vàmpῑr; on relève aussi les formes oupire (1751), upire (1771), empruntées au tchèque upír ou au russe upyr'. Tous ces mots pourraient remonter au turc uber “sorcière”. L'emprunt à l'allemand pourraît être un peu antérieur, si l'anglais vampire (vers 1734) est emprunté au français, ce qui est fort probable.

Minute, papillon! (Puisque le papillon est une nourriture qu'affectionnent les chauves-souris.) Si JB doit devenir un vampire, il voudrait bien savoir avec exactitude d'où il vient… Aussi va-t-il consulter son Kluge, le dictionnaire étymologique de la langue allemande. Lequel n'infirme ni ne confirme vraiment, mais précise que le terme allemand est "emprunté au serbo-corate vàmpῑr (à l'origine une forme macédonienne ou bulgare, confer le proto-slave °ǫpyrῑ ou °ǫpirῑ.)
On est donc sur une piste serbe, puis proto-slave. Pour le reste…
Pour le reste, c'est Wikipédia qui déroule la pelote étymologique - et là on est trèèès précis:


Bon. Entre parenthèses, le finnois (avec deux N, merci) n'est pas une langue slave mais finno-ougrienne. Mais, sinon: 1) l'origine slave et plus particulièrement serbe est attestée, 2) l'emprunt s'est fait via l'allemand, puis vers le français et enfin vers l'anglais - même si la fortune du terme est due à son importation dans et par la langue anglaise. De fait, si on revient au Kluge, celui-ci précise:
Le mot est mentionné dans une notice en provenance de Vienne (concernant des cas survenus à Belgrade), puis apparaît en 1725 à Leipzig et, à partir de là, en vient à désigner les humains en torturant d'autres, avant de prendre un sens zoologique pour désigner les animaux qui sucent le sens d'autres animaux. De cette évolution analogique provient la légende moderne qui est par la suite réempruntée aux langues slaves.
Wikipédia reprend la relève et indique:


Mais comme JB parle français et qu'il est un petit vampire de nationalité encore française, il va s'intéresser quant à lui au français. Il retourne par conséquent au Robert qui poursuit son explication:

◊ Le mot conserve le sens de l'étymon, désignant un fantôme qui sort la nuit de son tombeau pour sucer le sang des vivants. ◊ Par analogie (1751, Buffon), le mot désigne une espèce de chauve-souris d'Amérique centrale et du Sud qui suce le sang des animaux pendant leur sommeil. ◊ Le mot a vieilli dans l'emploi figuré (1760, Mirabeau) où il désigne une personne qui s'enrichit par les gains illicites, en particulier aux dépens du peuple; par analogie, il signifie (1835) “assassin coupable de nombreux crimes”, sens vieilli, sauf dans des désignations particulières parfois réempruntées (le vampire de Düsseldorf). Il s'est dit d'un voleur qui profane les tombes (1907).

Bon.
Outre qu'on voit (comme en allemand) à quelle vitesse le mot s'installe définitivement dans les différentes langues (à preuve ses analogies qui apparaissent tout aussi vite), JB décide de procéder dans l'ordre de s'intéresser d'abord à la chauve-souris.
Et il apprend dans un premier temps que les chauves-souris vampires, ou Desmodontinae, ou chiroptère hématophage (hémato = sang + phage = qui se nourrit de), sont constituées de trois espèces. Il apprend ensuite grâce au Larousse que les bestioles suceuses de sang sont présentes dans quasiment toutes les cultures humaines:


Pour tous ceux que les noms de vampires dans les différentes langues du monde intéresseraient, c'est ici qu'il faut aller voir.

JB apprend enfin, toujours dans le Larousse, que l'histoire de leur description par les naturalistes remonte au XVIIIe siècle et que celle-ci, ainsi qu'indique le , est influencée par le folklore qui entoure par ailleurs, et à la même époque, la créature devenue mythologique. De fait, nous indique Wikipédia: "Contrairement à une idée reçue, ces chauves-souris portent le nom de vampires en référence au monstre buveur de sang de la littérature et non le contraire."


Car le plus intéressant dans ces histoires, celle tant du mammifère que de la créature, c'est qu'elles procèdent par des on-dit. À preuve le récit par Buffon qui est le premier à avoir évoqué l'animal dans la langue française, ainsi que nous l'indiquait le Robert:


Et, toujours selon le Robert, c'est ainsi Dom Augustin Calmet, un exégète ayant surtout écrit sur Jésus et ses disciples, qui le premier aurait parlé de vampires en français dans son ouvrage au nom quasi pancolien avant l'heure: Dissertations sur les apparitions des Anges, des Démons & des Esprits. Et sur les Revenans et Vampires de Hongrie, de Boheme, de Moravie & de Silesie.


On résumé vite fait:
L'ouvrage a été publié en 1746, la lettre est de 1738, le mot est introduit en allemand en 1725 - on a donc une datation plus ou moins vers 1720.
Dom Calmet raconte ensuite la mort d'un vieillard, dans un village, puis sa réapparition: il vient voir son fils pour lui demander à manger. Celui-ci, pas con, doit lui dire quelque chose comme: "Hé, ho! T'as passé l'arme à gauche hier, c'est pas que tu crois que je vais te croire!" Ouais, ben, il aurait mieux fait, hein… Parce que, qu'est-ce qu'il fait le vieux? Il zigouille son fils! Purée… Après quoi, c'est une vraie épidémie dans le village, où les gens tombent comme des mouches. Ça alors… Du coup, dans le bled serbe, on décide d'agir:


Mazette! Ils rigolaient pas à l'époque, hein, en Serbie… Il faisait pas bon être un petit vampire. Les jours de JB auraient été comptés à ce train-là… Pfui! Il l'a échappée belle, hein!
Le vampirisme et ses personnages sont ensuite, en 1771, détaillés par le menu dans le Dictionnaire de Trévoux - autre grand dictionnaire de la langue française. On lit en ouvrant bien ses mirettes:


Et JB, le vicieux, adore évidemment ce passage - et c'est lui qui souligne:
On distingue principalement 2 sortes de vampires, les vampires actifs, et les vampires passifs. Les premiers sont les morts revenants qui sucent le sang des vivants. Les seconds sont les vivants sucés: mais les vampires passifs, une fois mort deviennent actifs…
JB se dit: C'est comme dans la vraie vie, quoi!
Bref.
Mais revenons aux choses sérieuses, mes petits amis. Car, en fait, le cas de vampirisme décrit par Dom Calmet est dûment réexpliqué par Wikipédia qui parle du "vampire historique":


De cette légende, la Yougoslavie de Tito en a fait un film d'horreur, en 1973, intitulé Leptirica et réalisé par Djordje Kadijevic. On regarde sans attendre. Attention, ça fout drôlement les jetons!



Gééénial! Quand le sang coule dans la farine!!!


Gééénial! Dommage que le film ne soit pas en couleur. Allez, comme on n'a pas bien vu, JB est gentil et propose à ses petits amis une capture d'écran quand le vampire revient, mais cette fois pour enquiquiner le fils du meunier.
On regarde d'abord le fils du meunier, pas vilain dans son genre, avec son air un peu tourmenté (il doit se poser des questions ontologiques, lui qui a lu Aristote lequel décrivait chaque être comme une substance - et donc il se demande si l'ontologie de la farine ne transcenderait pas, par hasard, son existence de meunier et son ontologie personnelle):


Sauf que, quand il voit le vampire, il fait moins le malin, hein. Là, il n'a plus du tout son air romantique, mais bien son air effrayé:


C'est vrai qu'il y a de quoi. Voici un arrêt sur image sur la bestiole qui, il est vrai, n'est pas un canon de beauté dans son genre:



Or, bien avant Djordje Kadijevic, l'histoire a été dépeinte par un autre réalisateur, d'une autre trempe, qui intéresse ce blog tatoué et fumeur et scandinaviste à plus d'un titre, puisqu'il était danois. JB a nommé: le grand et l'illustre Carl Theodor Dreyer. Lequel a réalisé, en 1932, le tout aussi illustre et célèbre Vampyr. On regarde notamment un passage très étrange, lorsque, à la fin du film, David Gray (qui n'a pu résister aux attaques du vampire), est mis en bière. La caméra de Dreyer filme d'abord le visage aussi mort que figé mais avec les yeux ouverts, et qui sort d'une fenêtre pratiquée dans le cercueil (et JB ne savait que cela existait) - et rien que cette vision des yeux ouverts (identique au récit qu'en donnait Dom Calmet) est, à l'écran, sidérante:



Puis Dreyer filme l'extérieur depuis la perspective du visage, avec ses yeux ouverts qui, bien que morts, semblent continuer de voir. Comme si David Gray était emmuré dans son propre corps qu'il ne pouvait plus bouger et assistait impuissant à son enterrement à venir. Une bougie est posée sur le cercueil puis le meunier regarde dedans. Et, du fait de cette caméra subjective, c'est nous, les spectateurs, qu'il regarde. C'est nous que la vie regarde dans la boîte au mort ou au mort-vivant, c'est donc nous qui sommes morts ou morts-vivants. Autrement dit: nous sommes tous des vampires. Autrement dit: quand JB se dit "petit vampire", le cinéma le lui a dit depuis belle lurette.


Saisissant, non?
Et Wikipédia de nous rappeler que l'acteur jouant lerôle de David Gray, Julian West, "est le nom de scène du Baron Nicolas Louis Alexandre de Gunzburg". Et JB est frappé de constater la ressemblance entre le baron et André Breton. Il les superpose:


Mais il n'y a pas que cela.
On se souvient tous de ces scènes surprenantes, dans le film serbe, avec la farine: d'une part lorsque le vampire touche la farine, où cette blancheur immaculée contraste avec la noirceur du vampire. On regarde de nouveau:


Puis vient cette scène où le fils du meunier tombe, entraîné dans une pluie de farine:


Cette scène, Dreyer l'avait également filmée, mais autrement: le vieillard se retrouve enfermé dans le moulin, dans le stock de farine, et nous (donc, on l'a vu, nous spectateurs, morts-vivants, artisans de la mort) assistons à son étouffement, et donc à son agonie:







On regarde l'extrait dans son entier:




En écrivant le scénario de son film, Dreyer s'est inspiré du roman de l'Irlandais Sheridan Le Fanu, publié en 1872, soit cent cinquante ans après l'installation dans les différentes langues du mot vampire, et qui l'a intitulé Carmilla. Attention, ça dépote:


Alors là, JB est aux anges, lui qui est un petit vampire.
Car ce motif-là, celui de la lesbienne comme vampire, il le connaît par cœur. La lesbienne en tant que prédatrice voire tueuse est un personnage récurrent dans les différentes disciplines artistiques. Depuis les peintures d'Edvard Munch, comme celle-ci:


… en passant, et en s'arrêtant, sur le cinéma de série B voire Z.
À commencer par le film de Jess Franco, Vampyros Lesbos, que JB avait vu à la Cinémathèque quand il habitait encore dans la Rance et que ladite cinémathèque avait organisé une rétrospective autour du réalisateur espagnol.
On regarde une scène et, attention, JB a déjà prévenu ses petits amis, ça dépote. On est en 1970, et c'est tellement kitsch et nul que c'en est culte:



Mais ce n'est pas le seul film!
Tout aussi kitsch, tout aussi nul et tout aussi culte, la même année, et lui adapté du roman Carmilla, The Vampire Lovers. Ci-dessous, une scène de ménage lesbienne comme on en voit rarement:



Plus sérieusement: ces deux films sont en fait d'une lesbophobie crasse en ce qu'ils instrumentalisent et figent la lesbienne en, d'une part, un objet sexuel pour le seul plaisir du mâle hétérosexuel, et une tigresse à l'appétit sexuel insatiable; partant, et d'autre part, elle est réduite à être une éternelle meurtrière qui séduit homme comme femme pour mieux les abuser et les assassiner enfin. On se souvient tous le La Morte amoureuse de Flaubert.


Mais JB le petit vampire est content. Il sait qui il est, il a côtoyé l'espace d'un instant ses copains et ses copines vampires, il a mangé des kilomètres de boudin noir et avalé des litres de sang, tant et si bien qu'il peut dire, à l'instar de Gisèle, la fille cadette dans le Vampyr de Dreyer:


Allez, mes petits amis, on se quitte le kitsch et le nul et le culte, avec Christine Pilzer qui, en 1966, chante Dracula:

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