mercredi 13 octobre 2010

Et tout ce (le désastre) qui s'ensuit…

JB traduit:
Cela n’a été que ses dernières années, après la disparition de maman et la profonde dépression qui s’est fatalement ensuivi (…)

Le problème n'est pas (pour une fois ) "la profonde dépression", mais bien le problème de syntaxe et de grammaire que pose le verbe s'ensuivre.
Dit-on "s'en est suivi" ou "s'est ensuivi"? Accorde-t-on le participe passé?
Instinctivement, concernant la première question, JB penche pour la seconde option. Il va vérifier dans le Jouette, la Bible des correcteurs (bien que JB sache que le Jouette se trompe régulièrement quand il est question de grammaire.

ENSUIVRE (S') v. pr. Ne s'emploie qu'à la 3e personne: il s'ensuit, les malheurs qui s'ensuivirent. On ne détache pas en de suivre dans l'emploi de ce verbe. Ce qui s'ensuivra. Ce qui s'est ensuivi (plus correct que: ce qui s'en est suivi). La catastrophe qui s'est ensuivie.

Bon. Au mot un problème de réglé: l'accord.
De même qu'on parle de catastrophe qui s'est ensuivie, on parlera de dépression qui s'est ensuivie. Et comme les exemples sont décidément éloquents, on constate enfin que le verbe s'ensuivre semble être régi par des substantifs dont le sens est synonyme de désastre ou de marasme. Comme on est dans le Jouette, on chuinte la première consonne et on s'écrie “Chouette!” - histoire de conjurer une espèce de mauvais sort, dont on ne voudrait pas qu'il s'abatte sur nous.
Bon.

JB pourrait parfaitement en rester là: il a toutes les raisons tant sémantiques que syntaxiques pour ne pas poursuivre sa recherche.
Mais, il l'a dit, question grammaire, il accorde toujours le bénéfice du doute à sa perplexité face au Jouette. Il va donc vérifier d'abord dans le TLF, et il en apprend de belles, en tout cas une belle qu'il ignorait totalement:


D'abord ragaillardi par la citation qui associe le mot bien au verbe s'ensuivre, JB déchante vite: les autres exemples ont eux aussi très trait au désastre: les erreurs, un duel, l'horrible hypnotisme, le drame… C'est ré-joui-ssant!

Non, ce qui étonne JB, c'est qu'on dit en réalité s'en ensuivre.
La langue française est décidément merveilleuse: dès qu'on tique sur quelque chose, on se rend compte qu'on ne tique pas pour rien - comme si l'inconscient linguistique pressentait quelque chose ou avait hérité de l'incertitude collective, on découvre que l'usage et les règles du mot sont on ne peut plus compliquées.
Et, justement, en parlant d'inconscient, le TLF précise dans sa remarque:


JB répète et souligne: "Curieusement, il semble que l'idée de cause soit perçue dans le verbe s'ensuivre (…)"
Comme quoi JB n'était pas tout à fait dans le faux quand il parlait pompeusement de "l'inconscient linguistique". Le locuteur entend quelque chose qui n'est pas directement discernable dans le mot. Le locuteur perçoit intuitivement un sens oublié à l'œuvre dans les limbes lexicographiques. Le locuteur, en ajustant l'usage, procède à une espèce de lapsus inversé - en ce que, d'une part, les fautes de grammaire sont aussi des lapsus et que, d'autre part, les lapsus corrigent une intention discursive, sont des paroles performatives puisqu'ils rectifient un sens et un usage qui n'a pas lieu d'être.

Face à tant de singularités (sémantique, lexicographique et syntaxique), JB décide d'aller voir quelle est l'opinion du Littré:


Ouh là là… il ne rigole pas, le Littré: "Il ne faudrait pas croire que l'on pût écrire s'en suivre, en deux mots (…)" Oj… Attention, hein, nous voilà prévenus…
On frôle la castagne de grammairiens, le foutage de gueules de lexicographes et le lancer de polochons d'académiciens. Autrement dit: Tare ta gueule à la récré!

Du coup, JB va voir la Bible des grammairiens, il a nommé: le Grévisse. Lequel consacre… une page et demie au verbe s'ensuivre. JB répète: une page et demie! Rien que pour ce verbe! Pfiou… C'est hénaurme pour un ouvrage aussi volumineux (il mesure quand même 26,5x19 cm et contient 1600 pages!).
Le verbe se trouve à la page des pronoms et dans l'article (681) intitulé: "agglutination et semi-agglutination de en". Purée, ça promet!

Il est en fait question des verbes, pronominaux ou pas, qui marquent une idée de mouvement: enlever, entraîner, emporter, s'enfuir, s'envoler, etc. Et le Grévisse d'apporter la précision étymologique suivante:
L'ancien français employait un grand nombre de verbes de mouvement avec s'en; quelques-uns ont survécu jusqu'à nos jours; d'autres ont été courants jusqu'au XVIe ou jusqu'au XVIIe siècle.
Aha…, se dit JB. On est décidément toujours dans cet inconscient linguistique. Et les singularités de se coupler d'un nouvel adjectif, après sémantique, lexicographique et syntaxique: linguistique.
Se pourrait-il alors que l'étymologie du verbe s'ensuivre nous donne la clé de l'explication? Le Grévisse indique:
Ensuivre, du latin insequi (plus exactement du latin vulgaire °insequere), plutôt que formé sur le français suivre, a d'abord été un synonyme de ce dernier (survivances, voir 870), avant de se spécialiser sur l'idée de conséquence et de prendre la construction pronominale. À partir du XVIe siècle, on a exprimé syntaxiquement le point de départ, notamment par le pronom en.

Avant de répondre à la question posé ci-dessus, JB s'arrête deux secondes sur cette étymologie. Si le Robert historique de la langue française n'apporte ni démenti ni précision à cette explique, le Grévisse devient passionnant, rapport aux fameuses survivances. De fait, s'il est correct de dire "les jours ensuivants", donc sous la forme du participe présent adjectivé, "le participe passé employé seul est rare". Et les auteurs (Goosse et Grévisse) de citer: "La procédure du droit de réponse à la télévision sera utilisée […], ensuivie d'un débat." Qui a écrit cette phrase? JB vous le donne en mille, mes petits amis: Valéry Giscard d'Estaing, dans Le Monde daté du 20 avril 1979. VGE! Le désormais académicien auteur de "romans" (entre guillemets, hein) aux scènes pour le moins olé-olé… (hö et re hö!) - et autrefois (p)résident de la (f)rance; et on se souvient avec délectation ici de son départ. Mais ce n'est pas tout! Car les auteurs précisent:
Cet emploi ne peut guère s'expliquer par s'ensuivre car le participe passé ensuivi n'a pas, dans cet exemple, la construction de s'ensuivre.
Hahaha!
Pourquoi JB se marre?
Parce que Goosse et Grévisse, autrement dit, se moquent de VGE. VGE l'académicien. En termes très polis et très diplomatiques, ils lui disent que son emploi est fautif.
Hahaha!!!

Retour à notre question.
Le Grévisse confirme bel et bien que "s'ensuivre diffère des [verbes] précédents du point de vue historique". C'est donc bel et bien la linguistique et l'étymologie qui explique les problèmes d'usage. Le verbe n'étant pas à l'origine un verbe pronominal et, par métonymie, s'étant confondu sémantiquement avec le verbe suivre, la faute s'opère.
Le Grévisse est ensuite d'accord sur un point: non seulement s'ensuivre de est aujourd'hui incorrect (même s'il est employé), mais s'en ensuivre est archaïque.
Mais Le Grévisse ne serait pas le Grévisse s'il n'était pas un produit de son pays: la Belgique. Et les Belges sont pour leur part connus pour le fameux "compromis à la belge". Autrement dit: de l'art de ménager la chèvre et le chou. Ce que font Goosse et Grévisse puisqu'ils concluent en disant que la tournure s'en est suivi(e) est aussi correcte qu'employée - et sans trancher.
Nous v'là bien!

Bon.
Ben du coup on va se quitter sur ce compromis de grammaire à la belge.
Et on se quitte sur VGE en se souvenant de son exercice d'accordéon avec Danièle Gilbert. JB, qui a un ami accordéoniste qu'il affectionne particulièrement (et puisqu'il est question de VGE, on pose ici un carré blanc), affectionne l'emploi (p)résidentiel du mot veston. VGE ne fait pas tomber la veste, comme le dit l'expression, il fait tomber le veston. VGE porte des vestons. Et certainement aussi des chandails. Et des poulaines.
Toujours est-il que c'est un désastre, ensuivi [sic] d'accordéon:

Aucun commentaire: