jeudi 23 septembre 2010

Galimatias et obscénités

Et, dans la traduction du roman d'Ingvar Ambjørnsen, JB ces mots qu'il adore, tels que salmigondis ou, à l'instant, galimatias. Évidemment, JB s'interroge sur l'étymologie du second mot - mais, avant, remarque la prononciation est particulière. JB aurait tendance à prononcer le S final. Or il se rend compte que celui-ci demeure muet. Et cela bien que le mot soit au singulier: Il va voir dans le Robert qui ne lui donne qu'une prononciation possible: [galimatja]. Le TLF, pour sa part, indique certes dans sa section morphologie une prononciation avec le S muet, confer ici, mais précise que le A final se prononcerait également [-ɑ] ou, comme le décompose le Littré: ga-li-ma-tiâ, donc un A prononcé un peu à la chti, très grave.
Très bien. Tout cela est bel et bon, mais cela ne nous explique pas le S final qui ne se prononce pas. Après tout, on dit un mas. Mais on dit un chas pour l'aiguille. Certainement parce que le premier mot vient du provençal. JB décide de consulter le Grévisse et, comme il s'en doutait un peu, la phonétique historique nous explique les difficultés voire le hiatus [qu'on prononce… [´jatys] avec le S final!!!] entre la prononciation et l'orthographe:

CONSONNES FINALES (OU DEVENUES FINALES)
Tendance générale.
Les consonnes finales en latin ou devenues finales par la disparition de la syllabe finale se sont généralement maintenues en ancien français, puis se sont souvent amuïes [= ne se sont plus prononcées - JB] par la suite. Les exceptions sont nombreuses [comme par hasard! - JB]. En particulier des consonnes qui n'étaient plus que graphiques s'articulent de nouveau dans des monosyllabes, soumis plus que les autres mots à des homophonies gênantes: cric [kʀi], but [by] et même mœurs [mœʀ] par exemples sont concurrencés aujourd'hui par [kʀik], [byt] et [mœʀs].
[…]
S disparaît ordinairement, mais subsiste dans l'écriture, parfois écrit x ou z: ámas > aimes > [εm]; násu(m) > nés > [ne] écrit nez; caballós > chevaus > [ʃvo] écrit chevaux. — Mais óssu(m) > [ɔs] écrit os, etc. — dont, soit dit en passant, ajoute JB, le TLF nous précise que le singulier se prononce [ɔs] mais le pluriel [o]. Pff… Tant d'énigmes à résoudre…

Dans sa superbe anarchie apparente, l'orthographe française s'explique toujours et n'est pas le simple fait d'une absence de logique quand bien même cela peut nous apparaître ainsi, aujourd'hui; et quand bien même certaines raisons dénotent d'une absence de logique mais… s'expliquent par le rapport compliqué et servile avec le latin qu'ont entretenu les codificateurs (qu'ils soient lexicographes, linguistes, grammairiens, académiciens ou imprimeurs) de la langue française tout au long de son histoire écrite, ou plutôt de sa retranscription. Tout cela est évidemment passionnant, et peut-être y reviendra-t-on un jour, mais ce n'est pas l'objet de ce développement.
Puisque nous cherchons à savoir pourquoi galimatias contient un S final qui ne se prononce pas. C'est donc l'origine du mot qui va nous renseigner.

Mais peut-être devrait-on commencer par le commencement et expliquer ce mot appartenant au langage soutenu. Un galimatias, c'est un discours confus, incohérent; "obscur", nous dit aussi le Littré; "qui semble dire quelque chose mais ne signifie rien", précise le TLF; "embrouillé, inintelligible", ajoute le Robert.
Dans son Dictionnaire étymologique de la langue française, abrégé du Dictionnaire étymologique du français (17 000 pages!!!), co-écrit avec Oscar Bloch et considéré comme l'ouvrage de référence en matière d'étymologie du français (et nommé entre spécialistes, s'il vous plaît F.E.W., initiale de son titre allemand), le linguiste et lexicographe suisse Oscar von Wartburg indique d'emblée que nous sommes face à une "étymologie douteuse". Sans pour cela qu'il n'explique le fameux S final. Sans pour cela qu'aucun dictionnaire ne le fasse, d'ailleurs. Et, si c'est la bagarre pour l'origine, tout le monde s'accorde à citer Montaigne comme le premier utilisateur du terme, en 1580, qui parle de "jargon de galimathias". Avec un H, donc. Ce qui donnerait gali-mathias > Mathias. Quelque chose de/pour/avec Mathias? C'est ça? Le Littré répond:


On consulte ensuite le TLF pour avoir la seconde origine du mot qui serait formé effectivement sur un prénom, mais Mathieu et non pas Mathias:
Pour Kahane (in: Byzanz, p. 369), il s'agirait d'une expression humaniste répandue à partir de Byzance dont la base serait le grec κατὰ Ματθαι̃ον «selon Matthieu» et ferait allusion à la généalogie du Christ (Évangile selon Matthieu, I, 1-17) qui était récitée à l'Église sur un ton de monotone psalmodie, d'où le sens de «discours, psalmodie» donné à un type m. lat. °galimateus, d'où viendrait l'occitan galimatias.
Et le Robert historique de la langue française, qui cite également cette étymologie, parle de "psalmodies plus ou moins parodiques", il y aurait donc une idée de moquerie. On continue avec ce dictionnaire et on reste dans la sphère d'une origine d'une langue latine, puisque certains la rattacheraient "au provençal Galimatié, nom d'un pays imaginaire (par altération de Arimathie)." Ou encore "au jargon des étudiants, le latin gallus “coq” désignant au Moyen Âge les étudiants qui participaient aux discussion réglementaires, avec la terminaison grecque -mathia “science” d'où °gallimathia." On peut toutefois douter fortement de cette origine puisque, comme nous l'avons vu plus haut avec le Grévisse, l'orthographe française, pour a priori toute farfelue qu'elle soit, respecte son origine latine. Passe encore la disparition du H, mais certainement pas celle du double L, certainement pas dans un pays comme la France, si fière de son coq qu'elle en a fait son emblème national.

On revient au Littré qui, dans un souci d'exhaustivité, a ajouté à son dictionnaire la proposition suivante, par ailleurs longuement glosée ici:


Le très brillant Pierre Guiraud, enfin, postule pour sa part, indique le Robert historique de la langue française, que "le mot a de toute façon été influencé par galer “s'amuser, se moquer” (-> galant); le galimatias “discours confus” serait un langage de farceur."

Devant tant d'incertitudes, il ne reste qu'à choisir son explication préférée - ce qui est un peu court et un peu lâche, JB l'admet. Et, en tant que traducteur qui emploie le terme galimatias dans un contexte particulier, il va opter pour la toute première explication, celle avancée par le Littré et indiquée par le Robert, imputant son origine au bas latin ballematia et signifiant donc “chansons obscènes”. Pourquoi cette hypothèse nous convient-elle?
Dans la traduction, le terme intervient dans un contexte très précis. Les deux personnages, Kjell Bjarne et Elling, se retrouvent avec une facture de téléphone au montant colossal, après avoir fait un usage immodéré du téléphone rose. Et Elling d'expliquer - et c'est JB qui souligne:
À l’époque où Kjell Bjarne et moi résidions encore au centre de cure de Brøynes, ce service téléphonique très particulier connaissait un essor monumental, et nous avons tous deux succombé à la tentation d’utiliser ses services dès l’instant où nous avons eu notre propre appareil et où nul ne pouvait nous prendre la main dans le sac. Deux types de services étaient proposés, avons-nous découvert. L’un, où vous conversiez avec une femme on ne peut plus vivante; l’autre, plus abordable, où un monologue féminin était enregistré sur une bande magnétique. La première variante était, pour des raisons qui tombent sous le sens, hors de question: nous nous y sommes essayés à plusieurs reprises, avec Kjell Bjarne comme porte-parole, mais ses interventions n’étaient guère émaillées que par des raclements de gorge et des galimatias.

On ne peut pas être davantage dans le contexte érotique, grivois, obscène (tout dépend de ses inclination et jugement personnels du "service" en question…), qu'ici. Le recours, dans la traduction, au terme galimatias semble donc doublement approprié.

Allez, à propos de chanson obscène, on se quitte sur l'éloquent Push It In, des Versatiles, un morceau monumental d'early reggae, datant de 1969, qui donne juste envie de se propulser sur la piste de danse, si ce n'est de faire autre chose…

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