jeudi 5 août 2010

Les plaies

Traduisant la phrase "(…) je vois défiler à toute vitesse un paysage de clair de lune (…)", JB pense forcément au troisième mouvement du même nom de la Suite Bergamasque de Claude Debussy. Il apprend au passage que la pièce a été inspirée par la lecture d'un poème de Verlaine, Promenade sentimentale, qu'on peut lire ici et que JB ne goûte pas forcément ("promenant ma plaie (…) parmi la saulaie" - pff…!!!). Et s'il ne goûte pas trop non plus le tableau de Millet mis en arrière-fond de la vidéo, il goûte en revanche pleinement l'interprétation de ce Clair de Lune par Walter Gieseking:



Et, relisant le mot plaie, JB en vient à s'interroger sur cette locution interjective (comme on dit en grammaire): Quelle plaie!
Il va fissa interroger le Robert des expressions et locutions:
PLAIE n.f.
Les (dix) plaies d'Égypte “des ennuis insupportables, de véritables fléaux” (fin XIVe s., E. Deschamps). Allusion biblique aux fléaux que Dieu fait s'abattre sur l'Égypte pour que le pharaon libère les Israélites (Exode, chap. 7 à 12). On dit aussi, ai singulier, c'est une (vraie) plaie d'Égypte, pour qualifier une personne insupportable (la locution renforce alors l'emploi figuré de plaie: quelle plaie!).
Et son cousin le Robert historique de la langue française de préciser:
L'idée morale de “fléau” tend cependant à disparaître au bénéfice de “chose pénible aux conséquences graves” et, familièrement, de “personne insupportable” (1888, Courteline).

Or, depuis quelques années, on assiste à l'irruption dans le langage parlé, quand le locuteur se plaint de quelqu'un, de la locution tout aussi interjective: Quel pansement!
Un exemple ici:



Mais qu'est-ce qu'un pansement? Le TLF nous répond:


Le pansement étant ce qu'on applique sur une plaie pour l'empêcher de saigner ou de suppurer, le pansement dans son emploi métaphorique apparaît dans le langage par métonymie. Dans le vocabulaire du locuteur, les deux mots, certes associés dans telle réalité mais non synonymes pour autant, finissent se recouper: l'un se substitue à l'autre. Comme par exemple pour la bouteille: J'ai bu une bonne bouteille. Non, la personne n'a pas bu la bouteille, elle a bu le vin qui était contenu dans la bouteille. C'est ce qu'on appelle en rhétorique une synecdoque. Bon.
Dans notre cas, le pansement désigne quelqu'un qui est une plaie, la fameuse "personne insupportable". Un autre exemple:


Mais, si on y réfléchit bien, quand le mot désigne une personne exaspérante, épouvantable, plaie et pansement sont-ils vraiment synonymes?
Il me semble que pansement, par analogie, va davantage caractériser la persistance. De même que le pansement colle et ne se détache que difficilement, la personne s'acharne, revient toujours à la charge, est tout le temps là. C'est un boulet, comme on dit aussi. Ou, ainsi que l'exprime de manière éloquente ce groupe sur visagelivre:


On note avec un intérêt aussi certain que chafouin et consterné que 1052 personnes se disent "amies" du groupe en question. Sic. et re-sic et re-re-sic.
Le pansement est encore pire que la plaie puisqu'il a l'effet boulet: on se le traîne. Non seulement il est en contact avec l'infection, il devient donc lui-même infectieux, mais il demeure, il perdure. Comme une tique. Exemple:


Ou celui-ci:


Pourquoi le langage n'a-t-il de cesse de se sentir comme obligé de trouver continuellement de nouveaux mots pour décrire les importuns? Comme si les raseurs se démultipliaient avec les années. Comme si la persécution était elle-même synonyme d'inflation et réclamait toujours plus de qualificatifs. Comme si la désignation des oppresseurs devenait un atavisme sémantique.

Sur ce constat, on se quitte avec les Pioneers et leur fantastique The Wicked, qui sera repris par les Reggae Boys dont on parlait pas plus tard que ce matin. Puisqu'ils chantent:
"As far as I can see / at the wicked, they must survive /
they wouldn't mind if you don't stay alive /
As long as they must survive"

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