vendredi 20 août 2010

Touché (et pas coulé)

JB traduit:
À deux ou trois reprises, j’en avais touché un mot à Vasshaug (…)
Et puis JB se demande: Pourquoi toucher un mot? Pourquoi toucher?
Il va demander l'aide du Robert des expressions et locutions qui lui explique que:
(En) toucher un mot à (qqun) “parler brièvement de quelque chose à quelqu'un” (vers 1546). Toucher a le sens de “mentionner brièvement, signaler.”
Certes. Mais comment passe-ton de toucher dans le sens d'effleurer à mentionner? Car si on suit l'analogie, et puisqu'il ne s'agit que d'une parole brève, d'une allusion, alors c'est effleurer un mot qu'il faudrait dire?
Et puis, autre question: comment le sémantisme du verbe toucher passe-t-il de l'effleurement à l'allusion puis à l'émotion (quand on est touché, ému, transporté par quelque chose)?

C'est le cousin historique du Robert cité supra qui le renseigne cette fois:
◊ Les valeurs principales de toucher sont acquises dès les premiers emplois: dans La Chanson de Roland (1080), le verbe transitif signifie “entrer en contact avec (une personne ou qqch)”, par l'intermédiaire d'un objet ou avec la main, plus tard avec une autre partie du corps (XVIe s.); le contact peut impliquer l'agressivité: toucher (qqun, qqch) signifie (vers 1125) encore à l'époque classique “s'attaquer à”. ◊ Le verbe s'emploie également au sens de “porter la main sur qqch” (vers 1155), pour prendre, palper, etc., sans que le contact soit violent; d'où autrefois toucher la main à qqun, en signe d'amitié (1440-1475) ou d'accord (vers 1530).
Et JB fait une parenthèse car il voit là une belle explication à la fameuse poignée de main de Vincent qui l'avait… touché il y a quelques jours.
Mais reprenons:
Le contact a un rôle particulier dans la conception traditionnelle du roi thaumaturge: toucher signifie “guérir (en posant la main sur le corps)” (1560). ◊ La relation à l'objet touché peut viser à une intervention (1636, toucher à qqch), spécialement dans ne pas toucher à la nourriture. “ne pas manger”.
Et ça, c'est aussi ce qui est arrivé à JB vendredaille (après le retour du Jedï) quand on l'a invité à manger ce poisson pourri suédois, euphémistiquement dénommé surströmming - on s'en souvient ici.
Toucher connaît, toujours avec l'idée de mouvement, plusieurs extensions. Il s'emploie à propos d'un instrument de musique (XIIIe s., toucher d'un instrument), transitivement et dans la locution figurée toucher la corde sensible.
Et là, et pour faire une transition avec ce qui va suivre, JB aimerait ajouter un usage méconnu par certains dictionnaires mais bien connu de certaines langues.
Par analogie, on a dit à une période (date inconnue) Je touche au pipeau, dans le sens double et amusé de “je sais jouer du pipeau” et “je sais faire des attouchements particuliers". La locution s'est peu à peu transformée en Je sais bien faire du pipeau ou Je joue bien au pipeau. Cet emploi est notamment attesté dans la culture populaire grâce à la reprise reggae par John Holt du hit des Supremes Touch Me In The Morning, où le pipeau y est certes remplacé par la flûte traversière, mais où l'idée d'attouchement doublé de la note musicale est présent d'emblée dans le titre. On l'écoute ici pour s'en convaincre.


Mais revenons au Robert:
Toucher prend très tôt une valeur érotique, “caresser” (1280) et “avoir des rapports sexuels” (XIIIe s., toucher une femme), mais le pronominal se toucher “se masturber” est beaucoup plus récent (1888). (…) ◊ D'autres emplois concrets sont plus récents, au billard (1740, toucher la bille), d'où le figuré toucher sa bille (vers 1970) “bien connaître un domaine, réussir”, en escrime (XIXe s.) et pour “atteindre avec un projectile” (1876), d'où l'exclamation touché! (opposé à raté!).
◊ Le contact peut aussi être opéré par l'intermédiaire de la parole; toucher a signifié “mentionner brièvement” (v. 1138) et “dire” (v. 1290), puis “effleurer un sujet” (fin XVe s.), emploi vieilli sauf dans la locution toucher un (deux…) mots(s) de qqch (à qqun); il a pris une valeur plus générale, “s'occuper, se mêler de (qqch)" (1538), et s'emploie couramment depuis le XIXe s. pour “joindre (qqun)”, par une lettre ou un coup de téléphone. À l'époque classique, il se disait pour “exprimer par l'écriture et la peinture” (1608).

Suit l'explication du sens de “être proche”, mais rien sur le sens de “émouvoir”. Aha. Étrange. Le Robert serait-il psychopathe?
Mais non!
C'est le TLF qui nous renseigne cette fois et nous indique que ce sens est fixé dans la langue dès 1150 et signifie "“affecter; faire une impression sur (dans le domaine affectif)”".
Ce qui est intéressant, en l'espèce, c'est que les trois sens du verbe toucher qui nous intéressait apparaissent tous dans un laps de temps très réduit: de 1080 jusqu'à 1150; ce qui, en termes de linguistique et de lexicographie, n'est rien: c'est hier et aujourd'hui. Et cela montre si l'on en doutait l'importance du contact dans les relations humaines. Mieux, les sémantismes que fixe le verbe sont chronologiquement les suivants: 1) la rencontre, 2) l'effleurement/la caresse, 3) le coup/la violence, 4) la parole/l'échange verbal, 5) la sexualité. Sachant que les troisième et quatrième sens sont contemporains l'un de l'autre.
Faut-il voir dans cette évolution diachronique la hiérarchie du contact? C'est-à-dire: une évolution non seulement linguistique et lexicographique mais aussi concrète des valeurs du contact. Comme si cette évolution diachronique suivait l'évolution à proprement parler du geste; comme si cette analyse linguistique correspondaient aux différents plans et images détaillant le développement du contact entre deux être humains. D'autant que le dernier sens de toucher a donné la locution toucher à sa fin qui, à son tour, serait la sixième et dernière phase de ce processus de contact.

Allez, on se quitte sur le morceau soulful reggae de Myrna Hague, Touch Me Baby (une reprise de Carol Brown) qui, à sa manière, résume les sens décrits à l'instant.

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