lundi 9 août 2010

Rire et sourire - ou l'inverse?

Traduisant:
Il a un sourire plus pincé (…)
… je me demande quelle est l'étymologie de ce mot, sourire, s'il y a une étymologie indo-européenne commune. Après tout, le sourire comme le rire sont des expressions communes à l'humanité.
Je vais donc voir dans le TLF qui me renseigne de la façon suivante:


Alors ça c'est intéressant: le sourire est une "atténuation" également étymologique du rire, nous indique le TLF. Tout comme sourire se disent en danois et norvégien smile et rire se dit le, alors qu'en suédois le signifie sourire et rire se dit skratta (qui à son tour signifie rire aux éclats en norvégien et, en danois, qui restitue l'idée d'une voix qui craque ou qui grince). Le langage reflète l'expression du visage et il n'y a qu'un plissement et un étirement de commissures pour passer du sourire au rire (et, pour ce qui est de passer du rire aux larmes, c'est une autre histoire sur laquelle on va, pour l'heure, jeter un voile pudique - comme on dit, une expression que JB adore!). La langue française possède de fait également ce sens. Que ce soit dans la forme substantivée du mot rire:


…que dans la forme verbale:


Et donc notre étymologie. Commençons par le français, et voyons d'un peu plus près ce que nous dit le Robert historique de la langue française:
1) SOURIRE v. intr., réfection avec le préfixe sous- (v. 1175) de sorrire (début XIIe s.), sozrire (v. 1130), est issu d'un latin populaire °subridere (premier e bref), altération du latin classique subridere (premier e long) “sourire”; ce verbe est composé de sub- marquant l'atténuation (-> sub-) et de ridere (-> rire).
◊ Le verbe signifie “prendre une expression rieuse” d'où (XIIIe s.) sourire à qqun “lui témoigner par un sourire l'affection, la sympathie, ou des égards de politesse, de courtoisie” et l'emploi figuré au sens de “rayonner, être radieux”, avec un sujet de nom de chose (av. 1613) propre à l'usage littéraire. ◊ Se sourire de (qqun, qqch) [v. 1175], “se moquer”, correspond à un sens du latin ridere et a disparu. Cette valeur a été reprise dans sourire de qqun, de qqch (v. 1778) “être amusé par”; de là faire sourire “prêter à la moquerie” (1843). ◊ Par analogie, le verbe a signifié “faire des rides” en parlant de l'eau (v. 1390). ◊ Par extension du sens dominant, il s'emploie (1683) en parlant du visage, de la bouche, des yeux. Avec un sujet de nom de chose, sourire (à qqun) veut dire au figuré “lui être favorable” (1812)
2) SOURIRE n.m. emploi substantivé du verbe (v. 1175) désigne l'action de sourire (…)

Quatre remarques à cette explication:
• il semble par conséquent que le rire ait précédé le sourire puisque, étymologiquement, sourire est une atténuation de rire. Ce qui, somme toute, est rassurant et redonne foi en l'humanité: ainsi donc, l'homme a d'abord ri, puis il a souri. La langue allemande nous en donne la preuve: rire se dit lachen, alors que sourire se dit lächeln, avec l'accentuation sur le A qui fait passer le A en Ä.
• partant, ce serait presque un paradoxe: si on observe un visage et une bouche au repos, les traits s'élargissent et la bouche dessine d'abord un sourire; puis ils se plissent encore et là seulement apparaît le rire. Or, étymologiquement, ce serait donc le contraire.
• plus étonnant encore, ce n'est non pas le rire qui mène à la moquerie, mais le sourire qui y conduit. Ce que les langues germaniques restituent parfaitement dans un verbe, an anglais to grin, en allemand grinsen, donc ce sourire un peu moqueur, comme figé sur le visage (c'est la valeur en allemand).
• le sens désormais tombé en obsolescence de sourire au sens de se moquer se retrouve en norvégien: smile/le av noen, littéralement sourire/rire de qqun, signifie en bon français se moquer de qqun. Preuve supplémentaire que, même dans les langues scandinaves, la frontière entre le rire, le sourire et au final la moquerie, est ténue.


Voyons à présent quelle est l'étymologie du mot norvégien smile, sourire, que l'on retrouve identiquement en anglais. C'est le Dictionnaire étymologique de la langue suédoise qui nous renseigne:


Et qu'apprend-on de passionnant?
Eh bien que ce mot vient d'une racine commune indo-européenne ici qualifiée de °(s)mi que l'on retrouve dans le sanscrit smáyate (rit), le grec meidiáo (je ris) ou l'ancien slave smejo. Mais, plus intéressant encore, le latin mirus qui signifie merveilleux et que l'on retrouve en français dans l'adjectif mirifique est également apparenté. Alors ça! Ça veut donc dire que le sourire porte en lui quelque chose de merveilleux, de fantastique? Voyons ce que nous dit Julius Pokorny dans son Dictionnaire étymologique de l'indo-européen:


Pokorny confirme les propos des Suédois, mais va plus loin. Car la valeur de ce °(s)mei- est aussi celle de l'étonnement. On remarque également dans le latin mirus la valeur de bienveillance que l'on retrouve dans l'emploi au XIIIe siècle du verbe français sourire, comme nous l'indiquait plus haut le Robert, et je répète: "“lui témoigner par un sourire l'affection, la sympathie, ou des égards de politesse, de courtoisie”".


Si le sourire est donc postérieur au rire, quelle est à présent l'étymologie de ce mot, rire?
Et c'est là encore le Robert historique de la langue française qui nous renseigne:
RIRE v., est issu d'un latin populaire °ridere (e long), altération phonétique du latin classique ridere (e bref) d'emploi absolu et transitif, signifiant “rire”, ensuite “sourire”, “avoir un esprit plaisant” et quelquefois appliqué aux choses dans le langage poétique (comme le grec gelan et meidian). Le verbe, très ancien et panroman, a une origine non éclaircie; Ernout et Millet évoquent un rapprochement possible avec la racine sanscrite krid-.

On note d'abord, amusé, que l'explication phonétique est l'inverse de ce qui est précisé plus haut - mais passons.
On note ensuite qu'on retrouve le terme grec meidian qu'on avait trouvé pour sourire. C'est donc que l'origine n'est pas si inconnue que cela. Ou quoi?
Et ce qui est pour le coup amusant (hö!), c'est que l'origine du mot rire serait inconnue. Ainsi donc, le rire serait-il à ce point ancestral qu'on ne puisse pas déterminer son étymologie? En est-il vraiment ainsi?
Voyons en guise de première réponse l'étymologie du scandinave le, dont nous avons vu qu'il signifiait rire en danois et norvégien, mais sourire en suédois. Et c'est à nouveau le Dictionnaire étymologique de la langue suédoise qui nous renseigne:


On se doutait bien que l'anglais laugh, l'allemand lachen étaient les équivalents dans leurs langus respectives du scandinave le. Là où on est un peu plus surpris, c'est de constater que ces mots viennent d'un germanique commun °hlah qui signifie clac en français, qui est une forme onomatopéïque, que l'on va retrouver notamment dans l'ancien slave klekutati = crier, dans le lituanien klegu = rire aux éclats ou dans le latin clango = crier.
Ce qui de prime abord paraît étonnant, à savoir que le rire serait donc une onomatopée ne l'est pas tant que ça. On a déjà vu et lu sur ce blog tatoué et fumeur que les bruits voire certains noms d'animaux, de même que les bruits humains, sont en fait des onomatopées, des cris. Ce qui accrédite la thèse selon laquelle le langage s'est initialement fondé à partir d'éructations, de bruits formés la bouche et par la gorge.
Ce que nous confirment nos potes Mallory et Adams dans leur Introduction to Proto-Indo-European:
21.3 Interjections and Human Sounds
Here we have gathered together in Table 21.3 those words which may be described as interjections or describe the type of noises that might issue from a human (laugh, babble, moan, etc.); animal noises will be treated separately in Section 21.4 although there will be some crossing between those two spheres, e.g. both people and wolves ‘howl’ in English. Obviously, when dealing with words that may sound symbolic, there may be independant onomatopeia involved rather than genetic inheritance.
C'est compris?
C'est-à-dire que non seulement de très nombreux sons produits par les humains sont des onomatopées, mais qui plus est humains et animaux partagent certains bruits, sans pour autant qu'il y ait "un héritage génétique", insistent les auteurs.

Jetons un œil sur le fameux tableau dont ils nous parlent tant il est éloquent (re hö!) et passionnant:

© Mallory & Adams © Oxford

Et Adams et Mallory de nous expliquer enfin:
The word for ‘laugh‘ in Proto-Indo-European was obviously onomatopeic and although it is provided a root rconstruction, i.e. °kha-, it is generally found in reduplicated form, e.g. in addition to the Latin cachinno ‘laugh’ we have Old English ceahhetan, Old Slavic chochotati, Greek ka(g)kházo, Armenian xaxank, Sanskrit kákhati/khákkhati, all ‘laugh’, suggesting that one might have laughed °kha kha! in Proto-Indo-European. Alternatively, we have the more familiar °ha ha (Latin hahae, Greek hà há, Sanskrit ha ha). A single °ha tended to indicate surprise (Latin ha, Greek ha, Sanskrit ha).

Alors certes, si notre mot rire a peut-être une origine inconnue, le rire en tant que réalité correspondait à un mot (et donc une réalité) commun chez les Indo-Européens.


Allez, on se quitte sur le rire et le sourire.

Le sourire d'abord. Avec le bien-nommé Smile des Tennors, de 1969, et on entonne avec eux "Sit down, my baby, and smile!":



Le rire enfin. Avec l'immarcescible Them a Laugh and a Kiki des Soulmates, également de 1969, qu'on a déjà pu écouter ici sur ce blog tatoué et fumeur, et qu'on pourrait écouter en boucle jour et nuit tant 1) le morceau est génial, 2) c'est du boss sound et du vrai, 3) on adore chanter avec eux: "The man who laugh first and a he man he laugh", 4) les Soulmates ne sont autres que les Pioneers qui eux mêmes ne sont autres que les Reggae Boys, qui eux-mêmes ne sont autres que des Upsetters de Lee Perry.

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