jeudi 26 août 2010

Drag (et polari)

On doit traduire cette phrase (et c'est JB qui souligne):
(…) og så var det noe anna, et drag som jeg ville slippe å se.
Et le mot problématique, c'est drag.
Il est ici question du regard. Comme quoi il y a "autre chose" dans les yeux: et drag.
JB comprend tout de suite: Ce que veut dire, l'auteur, c'est qu'il y a une expression dans le regard de la femme en face de lui que le personnage principal ne veut surtout pas voir. Or, à la connaissance de JB, on n'utilise pas et drag pour le regard. On l'utilise certes pour le visage, mais pas pour les yeux où, dans ce cas-là, on dirait plutôt uttrykk.
Et drag, c'est le fait de tirer. Par exemple quand une tire sur sa cigarette: une bouffée. Ou quand on boit un verre d'un trait: i et drag. Ou encore quand le visage prend soudain une expression particulière et on pourra alors parler d'ombre: l'ombre de quelque chose.
Mais JB pense aussi que, la traduction c'est comme l'inconscient: on est son meilleur ennemi, on n'est jamais tout à fait sûr dès qu'un doute apparaît.
Il va vérifier sur ordnett. Et qu'est-ce qu'il trouve pour la traduction française?


Oui, comme quoi il ne faut jamais faire entièrement confiance aux dictionnaires de langues.
JB va vérifier dans le dictionnaire norvégien monolingue:


Voilà. Nous, c'est le sens #5 qui nous intéresse et c'est bien ce qui figure: ansiktsuttrykk. Donc: expression (= uttrykk) du (= avec le S qui marque le génitif saxon) visage (= ansikt). Puisque, et JB l'a appris hier soir dans son lit, avant de s'endormir, une des caractéristiques des langues germaniques c'est la formation de noms composés où c'est toujours le terme de droite qui détermine l'ordre du sens. C'est toujours le mot de droite qui est le sujet du groupe nominal, l'agent. Si le mot était le visage de l'expression, l'équivalent en norvégien serait alors: uttrykksansikt. Vous comprenez, mes petits amis?
Quoi qu'il en soit, JB ne se trompait pas.
Néanmoins: Que faire? (Disait Lénine.) Traduire par un trait dans les yeux/dans le regard? Nan… Ça se dit pas en français, voyons! Et puis, le mot s'emploie toujours au pluriel en français, pour qualifier le visage. Ou bien JB se tromperait-il? Qu'en dit le TLF ?


Voilà. C'est bien précisé: "Généralement au pluriel." + "Ligne caractéristique du visage."
Bon, alors et décidément: que faire?
Les deux questions qu'il faut se poser sont les suivantes:
1) Qui parle mal? L'auteur ou le personnage?
2) Est-ce qu'on laisse la petite erreur? Ou est-ce qu'on la corrige?

Ce pourrait être le personnage, un agriculteur assez rustaud qui parle un norvégien du sud-est, plutôt relâché, pas recherché, brut, sans beaucoup d'images poétiques voulues par l'auteur. De plus, l'écriture du roman, qui voit l'auteur recourir à un bokmål (= une des deux langues écrites norvégiennes) qu'on qualifierait selon la terminologie en vigueur de libéral (par exemple: le personnage ne conjugue jamais les verbes faibles au prétérit avec ET à la fin mais en lui substituant le A propre au bokmål libéral: kostet (coûtait) < kosta; elsket (aimait) < elska), cette écriture, donc, peut faire penser que c'est le personnage plus que le romancier qui n'a pas utilisé le mot juste.

Pour l'histoire: les Norvégiens parlent en fait leur dialecte. Et ils écrivent dans deux langues: le bokmål (utilisé par environ 75 à 80% de la population) et le néo-norvégien (utilisé par environ quant à lui 15 à 20% de la population). Mais ces deux langues écrites connaissaient à leur tour des variations, tout à fait tolérées, qui sont le reflet de l'emploi à l'oral des dialectes. Aussi, quand on lit un roman norvégien, on sait immédiatement si le personnage vient de l'ouest (néo-norvégien) ou de l'est (bokmål); de quelle classe sociale il est issu. Tout cela se perd évidemment en français dont la langue écrite est normalisée et standardisée (tout comme l'allemand, le danois, le suédois par ne prendre que quelques exemples).
Dans certains romans, notamment dans les romans pour adolescents, on peut jouer sur le registre: employer des termes plus relâchés, omettre les négations. Et c'est justement ce choix de traduction pour lequel JB a opté dans ce roman. Il a quasi systématiquement gommé les négations, eu recours à un vocabulaire simple, une langue brute, sans effets notamment poétiques: des phrases courtes, de préférence sans points virgules, etc.
Et ce choix stylistique se "survoit" en français. Il saute aux yeux du lecteur. Il faut donc l'utiliser avec précaution, ne pas non plus tomber dans l'excès inverse, ne pas hystériser la langue au point de la rendre artificielle. Et ce présupposé répond en lui-même à la question qu'on se posait plus haut: cette faute, on ne va pas la reproduire. On va utiliser expression qui est le mot juste en français car employer trait serait une faute non seulement d'usage mais aussi de syntaxe. Et, comme par ailleurs, on force la langue en français, ce qu'on perd ici se retrouve à l'envi ailleurs. De plus, même si on reproduisait la "faute", l'écart de langage ou cette faute elle-même n'est pas assez flagrante pour que le lecteur puisse la comprendre en tant que telle. Exemple: dans un dialogue, on pourait tout à fait songer à employer malgré que, cela conviendrait. Mais dans le cas qui nous occupe, la faute n'est pas assez grossière pour être repérée comme un effet voulu. Le terme sonne uniquement bizarre et mal traduit aux oreilles du lecteur.


En faisant sa petite recherche sur le mot norvégien drag dans les multiples dictionnaires d'ordnett, JB tombe évidemment sur un des sens du terme anglais drag. Et inutile de parler norvégien pour comprendre de quoi il est question dans le sens #17:


Et JB de se demander à partir de quand le sémantisme du travesti est apparu en anglais et comment s'est opérée cette analogie?
JB va regarder dans le Etymology Online Dictionary :


Première constatation réjouissante pour JB: le mot angalais vient du "peut-être" du scandianve.
Sinon, c'est compris, mes petits amis?
Le sens de travesti apparaît en 1870 et est un mot de l'argot du théâtre, dans le sens où les robes longues traînaient par terre. Si on ajoute le sens apparu au début du XIXe siècle qui voit un drag être une personne ennuyeuse (donc que l'on doit traîner), on a le sens du drag en tant que travesti. De plus le mot drag queen est attesté en 1941. Une autre étymologie ferait naître le mot du yiddish (qui, comme on le sait, une langue germanique dérivée de l'allemand) et verbe trogn = porter (à comparer avec l'allemand tragen = idem).
JB voulait être certain de son fait, il va voir sur answers.com .
Il retrouve d'abord les sens qu'il avait trouvés sur ordnett et dans la définition ci-dessus:


L'analogie s'est opérée comme suit:
De mouvement, on est passé à l'acte lent, laborieux < à la personne ennuyeuse, qu'on se traîne < au vêtement qui traîne par terre < au travesti qui porte des vêtements du sexe opposé.
Answers.com cite par ailleurs Wikipédia:


Allons bon! Voilà que ce viendrait dans la Grèce antique, maintenant!
C'est quoi cette étymologie qui nous apparaît complètement fantaisiste?!?!!!!
Pff, n'importe nawak, ouais…
Plus pertinent est en revanche le lien avec le Polari, cet argot homosexuel qui s'est développé en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. On en avait déjà parlé en juin dernier, ici. On fait donc une petite recherche en tapant sur gougueule drag + polari + etymology et on tombe sur un site français, intitulé sexopédie.com qui, à la page sur les drag kings, nous explique:


Bon, la définition est bourrée d'approximations (ce n'est pas dans la "première" mais la "seconde moitié du XXe siècle que le polari est apparu, la première définition est totalement incomplète: comme on l'a vu drag au sens de porter, de costume, est un sens dérivé voire familier). En plus, l'explication de l'acronyme est une autre fantaisie qui nous fait bien rigoler.
En revanche, si on parle de ce site, c'est parce que, plus haut, est employé le néologisme suivant:



Pour JB, ce mot est passionnant: se kinger. Toutefois, il s'interroge sur son orthographe. Quand le lit comme ça, on peut entendre non pas les deux lettres séparées I et N pour décrire le son [ine], mais bien le son [ɛ̃] comme dans l'adjectif matin. De plus, on peut lire non pas le son [g] comme dans les mots garçon ou girl, mais bien [ʒ] comme dans Gros-Jean comme devant. De plus, le substantif king, en anglais, s'écrit en phonétique [kɪŋ] avec le fameux son [ŋ] qui correspond à un G dit consonne occlusive nasale vélaire voisée, qui plus est pleine (il en existe 4 sortes différentes!) - ce qui, somme toute, nous fait une belle jambe. En français, une langue où ce son n'existe pas, le [ŋ] devient un simple et traditionnel [g], à savoir une consonne occlusive vélaire voisée. Bref. Toujours est-il que, en français, la consonne G suivie des voyelles E, I et Y donne le son [ʒ] comme dans gentil. Pour éviter cela, la langue française ajoute la voyelle U. Donc on écrirait: se kinguer. Mais, en l'espèce, on n'a toujours pas résolu le problème de [ine]. Il faudrait donc écrire se kïnguer. Ce qui encore une fois n'est pas possible: un tréma sur une voyelle apparaît quand ladite voyelle se trouve à côté d'une autre voyelle (haïr Noël, etc.) et qui est la réminiscence d'une diphtongue en ancien français. Par conséquent, il faudrait écrire se kineguer. Mais la référence au terme anglais king serait alors perdue… Aïe aïe aïe!

Bon. Et nos drags et notre polari, au fait?
En polari, donc cet argot homosexuel britannique, drag signifie nice outfit, joli costume, joli vêtement.
On regarde une petite émission sur ce fameux polari où on apprend plein de choses.



Mais la drag qui, à nos yeux, reste indéboulonnable, c'est évidemment Divine.
Et, évidemment, Divine dans le film en odorama Polyester, de John Waters, réalisé en 1981, que JB a vu ado et également en odorama. Comme on va le voir sur ces extraits, une plaquette était fournie au spectateur à l'entrée et, quand un chiffre apparaissait sur l'éran, il fallait gratter le numéro correspondant:



Allez, une dernière scène avant de se quitter, parce qu'on ne s'en lasse vraiment pas!

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