lundi 21 juin 2010

La beauté malgré tout

On parlait juste avant, en allemand, de l'amitié, du fait que voir ces deux messieurs (Stranger Cole et Gladstone Anderson) être toujours amis 40 ans après, malgré tout, malgré les absences, malgré les séparations, est source de réconfort, de joie, d'espérance. On parlait juste avant de la beauté, qu'il faudrait toujours chercher la beauté, qu'il faut toujours se laisser émouvoir et transporter par la beauté, que l'un des buts de ce blog c'est aussi ça: montrer la beauté (et on s'en branle de savoir si cette phrase qu'on vient d'écrire est cucul la pral).
Et, l'instant d'après, on traduit ce passage, qui montre justement ça: la beauté- la beauté malgré tout.
Le contexte: un couple, au restaurant, en train de manger des crevettes. Elle s'appelle Siv, il s'appelle Are. Le lecteur sait que Siv veut plaquer Are, Siv ne sait pas comment le dire à Are, le lecteur tout comme Siv ne savent pas encore qu'Are se doute de tout:

Dis-moi, Are… Il y a une chose dont je ne suis pas très sûre… Voilà, c’est maintenant que ça va avoir lieu. J’attends ce moment depuis longtemps. Et pourtant je n’y suis pas du tout préparé. J’ai la sensation que je ne serai plus jamais en état de soulever un verre. D’arracher une tête de crevette. De tenir un couteau pour étaler sur mon morceau de pain une couche fine et régulière de beurre. De ne plus pouvoir faire signe au serveur que je veux régler. Et uniquement de rester là, cloué à mon fauteuil, infichu de bouger. Oh, Siv… ma chérie, qu’est-ce que tu peux bien avoir à me raconter? Je voudrais être une crevette, et d’être recroquevillé en position fœtale dans ma carapace. Siv bat des cils, coince une mèche rebelle dans ses cheveux brun foncé et dit: Je me demande si ce n’est pas trop pour changer les vacances. Sans compter que c’est bête de solder tous ses jours en même temps. J’aurais pu travailler la semaine prochaine puis prendre une semaine en août… J’attrape une crevette, lui enlève la tête avec un geste qui se veut machinal, un peu absent, tout en observant un point sur la gauche du parasol: des gens connus? Enfin bon, ajoute Siv, ça n’a pas grande importance. Et, comme sa remarque me fait brusquement repenser à une phrase qu’elle vient à l’instant de me dire, je lui demande en la regardant: Mais que tu crois que tu l’auras? Elle: Je ne sais pas… J’enlève la carapace et porte le corps dénudé de la crevette à ma bouche. Qu’est-ce que tu vas faire en août alors? je lui demande. Elle répond: Je n’en sais rien, je te l’ai dit. Peut-être éparpiller les jours… Moi: Avant, je croyais que les crevettes vivantes étaient roses. Elle sourit: Elles sont grises, n’est-ce pas? Je souris à mon tour: Oui… Et ce «oui», je le prononce en clignant lentement des yeux, avec une décontraction qui frise la démence. Je pense: Non, je ne veux pas. Je ne le veux pas. Tu ne dois pas me quitter. Tu ne peux pas faire ça, Siv. Je veux rester avec toi, pour toujours. Je t’aime, Siv. J’enai les larmes aux yeux quand ces pensées défilent dans ma tête. Je dis: Moi je suis en vacances la semaine prochaine, et ç’aurait été bien de la passer ensemble, mais bon… C’est pas un drame, hein! On passe tellement de temps ensemble! Et là-dessus je lâche un petit rire bref.

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