lundi 15 février 2010

Les idées en prison dans son cerveau

6h30 (mit dem ersten Kaffee-Zigarette):




7h (am Übersetzen):




10h38 (in einer Mail):



10h45:
Frau Pr Dr B: Es eilt. Wir müssen uns häufiger sehen.


11h15:
Linus: Nein, ich will eher, dass du darüber mit dem Doc sprichst.


12h30:
Dr F: Lass uns hoffen, dass es so bleibt. Ich kann es aber nicht versprechen.



14h45 (in dem Bus):
La collision latérale est très violente, la vitre intérieure du taxi se brise sous le choc et se transforme en double lame qui entreprend de couper le client Ravel en deux. Elle n'y parvient qu'imparfaitement, se bornant à enfoncer trois côtes, ce qui lui procure une sensation brutale de pli dans la poitrine, comme une bosse à l'envers, et à lui briser trois dents pendant que des éclats de verre s'occupent de lui déchirer le visage, notamment le nez, l'arcade soucilière et le menton. On fait ouvrir la plus proche pharmacie, on y panse provisoirement le client avant de le transporter à l'hôpital Beaujon d'où on le laisse regagner son hôtel après qu'on l'a recousu. Mais le lendemain, comme il paraît souffrir de contusions internes, son médecin préfère l'envoyer pour surveillance dans une clinique de la rue Blomet.
Les trois mois qui suivent, Ravel ne fait absolument rien. On l'a traité, pansé, bandé, on lui a refait son dentier. On s'occupe fort de lui qui demeure stupéfait. Il ne dit pas grand-chose et ne se plaint jamais sauf pour faire observer, de temps en temps, que sa pensée lui fait parfois défaut, qu'elle ne se développe pas comme d'habitude. S'il a souvent donné des preuves de distraction, celles-ci deviennent en effet plus fréquentes. On lui apporte à son réveil Le Populaire, qu'il lisait attentivement jusque-là d'un bout à l'autre chaque matin mais on dirait que ça l'intéresse moins, il jette maintenant des regards distants sur le journal en se bornant à le feuilleter. Comme il a beaucoup travaillé ces derniers temps, les médecins n'ont eu de cesse de le mettre en garde: son état n'allait pas s'arranger vu sa fatigue chronique. Or, depuis l'accident, cela paraît s'aggraver sérieusement. Pendant qu'on lui fait subir différents examens, il finit par expliquer que ses idées, quelles qu'elles soient, lui semblent toujours rester en prison dans son cerveau. C'est après tout normal après un choc pareil, on veut supposer que ça va passer.
© Ravel, Jean Échenoz, Éditions de Minuit, 2008


16h30 (am Übersetzen):
Je le dévisage, toujours abasourdi de savoir que lui, le grand Franz Schubert, se tient réellement dans la chambre, la chambre d’Anja. Serais-je en train de perdre la tête? Mais non, il est bel et bien ici, dans mon rêve. Toutefois, il fait peine à voir, assis sur le lit, avec ses cicatrices causées par la syphilis, cette syphilis qui l’a rongé dès l’âge de vingt-cinq ans. En l’espace des six années qui se sont écoulées, jusqu’à sa mort à trente et un ans, il a été victime d’un empoisonnement au mercure, puisque le mercure était en son temps le seul remède contre cette maladie. Et le voici donc à côté de moi, avec ses mains engourdies, une douleur qui s’est déposée comme un bandeau autour de la tête, avec ses articulations qui lui font atrocement mal, avec sa difficulté évidente à s’exprimer. Il est irritable, et je n’ai aucune peine à m’imaginer qu'il s'agirait plutôt de prendre des gants si on veut le contredire. Mais le pire, c’est cet eczéma proliférant et cette surproduction de salive. Les gouttes de bave qui s’écoulent aux commissures et qu’il ne remarque même pas. Le teint rubicond de son visage, les taches sur son front et sur ses joues. Le résultat d’un bonheur chèrement payé, une relation sexuelle à la va-vite avec une pauvre femme, une nuit de 1822. En plus il dégage une odeur pestilentielle. Schubert pue. Finalement, mieux vaut encore qu’Anja n’assiste pas à cette scène, me dis-je.
 © Ketil Bjørnstad, pour la version originale, H. Aschehoug & Co (W. Nygaard), 2007
© Jean-Baptiste Coursaud pour l'édition française, Éditions Jean-Claude Lattès, 2010

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