jeudi 28 janvier 2010

La Suisse (5)

Avant-dernier jour au pays des vaches violettes.
On ne saurait bientôt achever cette incursion dans le monde littéraire suisse sans parler d'Aglaja Veteranyi.
Aglaja Veteranyi est née en Roumanie, en 1962. Dans une famille d'artistes de cirque. Très vite, la famille va fuir la Roumanie de Ceaucescu pour finalement s'installer en Suisse. Ces souvenirs de fuite et d'émigration, l'auteure les a fixés dans un roman au titre étrange: Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta. Un titre qui évoque non seulement les ogres, donc les parents (ici: la mère ET le père), mais aussi ces enfants qui se laissent faire, par amour, des Hansel et des Gretel qui s'observeraient depuis la face transparente du miroir sans tain. Voici un récit d'enfance qui comme toutes les narrations de ce type renferme une sidération inhérente au genre - quand le texte est réussi, et ici il l'est.

Aglaja Veteranyi s'est, selon l'expression consacrée, "donné la mort" quelques mois avant ses 40 ans révolus, en 2002. Elle semble avoir révolutionné les lettres suisses alémaniques avec ce récit d'enfance aux allures de conte cruel et de lucidité sidérante où sont évoqués pèle-mêle et dans la désordre (et avec la même effroi que chez herta Müller - mais avec cette même fausse ingénuité puérile que la Linda du dyptique de Beate Grimsrud (qui devrait déjà être traduit, soit dit en passant)) cette Roumanie de Ceaucescu où la Securitate est hyper présente, la vie chiche et les espoirs sans limites, la prise de conscience de sa différence en propre,l'ostracisme et la certitude profonde qu'on va y arriver, qu'on va réussir - avec cet acharnement très foucaldien (comme on dit).

Je ne vais pas à l'école mais je parle des langues étrangères et je connais une quantité d'histoires, bien plus que ce qu'on apprend à l'école. Ma mère dit que je n'ai pas besoin d'aller à l'école, que le plus important, je le sais déjà.
LE PLUS IMPORTANT:
Se surveiller devant les autres.
Ne pas leur dire la vérité pour qu'ils ne se moquent pas de nous.
Les gens ne s'aperçoivent pas que je suis différente, j'invente sans cesse de nouvelles histoires à notre sujet pour qu'ils ne croient pas que nous ne sommes personné et que nous n'avons rien vécu.
Quand je serai majeure, je serai une star et j'achèterai à ma mère notre belle maison et quelques restaurants, et quand les frontières de notre pays seront ouvertes et que nos compatriotes pourront fuir à l'étranger, nous pourrons leur servir de la cuisine roumaine.
© Pourquoi l'enfant cuisait dans la polenta, Aglaya Veteranyi, traduit de l'allemand (Suisse) par Marion Graf, L'esprit des péninsules, 2004

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