dimanche 8 novembre 2009

Jacno est mort († RIP)

J'ai dix ans. Avec mes parents et mon frère, nous allons dîner chez des amis. Ils habitent une grande maison neuve, cossue, tout entourée d'arbres et de haies. Ils ont deux chiens qui me font toujours peur, un berger allemand et un danois, qui foncent à la grille et aboient férocement dès que nous garons la voiture devant. La maison est accessible par une vaste terrasse dont ils ne profitent jamais: ils semblent toujours confinés à l'intérieur. Ils ont deux enfants, nettement plus âgés que moi - je me suis toujours ennuyé les enfants de mon âge. C'est la fille plus âgée, elle me fascine, elle représente la liberté que je crois ne pas avoir. Dans ma mémoire (et si je me trompais?), sa chambre ressemble à un espace sombre aux volets toujours fermés où un disque tourne en boucle. Les paroles racontent l'histoire de deux amoureux qui se foutent de ce que les autres peuvent penser d'eux, qui sont différents. La chanteuse dit: "Ils nous regardent et ils se moquent." Je suis jaloux: je veux être l'un de ses amoureux, être différent, et je sais déjà très bien à quoi j'associe ce mot, différent. Déjà, la conscience que la différence entraîne la moquerie. Est-ce que, déjà, je sais que le regard que l'on porte sur soi, la conscience que l'on a de soi, sont à cet âge modelés par le regard que les autres portent sur soi? C'est aussi dans cette maison que je verrais de façon fugitive cinq minutes (10? 2? 25?) du téléfilm Holocauste - une impression rétinienne qui sera décisive de la conscience que j'aurai de moi.
Le disque, c'était Main dans la main, d'Elli et Jacno. Jacno est mort avant-hier.



À l'époque, je ne sais pas encore qu'Elli et Jacno ont d'abord fondé ce que l'on considère comme le premier groupe de punk français, les Stinky Toys. Et aujourd'hui, quand je réécoute ce morceau, je pense invariablement à ce que mes mémoires en ont gardé: l'ennui, la grisaille, le cuir du siège de la mobylette, les cités à peine terminées et entourées de champs de boue que je vois à la télévision (un mot désuet aujourd'hui, cité, que son visiblement plus moderne banlieue a remplacé). Plastic Faces, chantaient-ils:

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