vendredi 20 novembre 2009

Gertrud - la pièce

Magnifique soirée au Maxim Gorki Theater avec A pour voir l'adaptation au théâtre par Armin Petras du roman de… 1200 pages d'Einar Schleef, Gertrud, qu'il a publié pour le premier tome en 1980, pour le second en 1984. Schleef était un des grands metteurs en scène de la RDA - jusqu'à ce que sa représentation de Mademoiselle Julie, de Strindberg, déplaise et qu'on (le régime) le prie d'aller travailler à l'Ouest (à Vienne) - il ne reviendra à l'Est qu'après la réunification et meurt prématurément en 2001.

Gertrud, le personnage, c'est sa propre mère, Gertrud Hoffmann, une grande nageuse qui aurait pu devenir une grande sportive si elle n'a pas été amoureuse. De même qu'elle aurait pu émigrer aux "States" si elle avait accepté en 1939 de suivre la famille juive pour laquelle elle travaillait en Suisse, ainsi qu'ils le lui avait demandé. Gertrud, c'est un peu une vie loupée et beaucoup une vie allemande du XXe siècle - une vie biaisée par les contingences. Gertrud, c'est une femme aigrie et sèche qui monologue pendant 1200 pages, qui ergote et rumine (ici, p. 468-469, livre II, © Suhrkamp Verlag), elle "mystifilosophe", comme disait Sara Stridsberg dans La Faculté des rêves:
Sicher, es ist besser geworden, das Alleinsein ertrage ich, wenn niemand klingelt, ich nicht wohin muß. Etwas besorgen. Nur ein Wort. Jemand geht an mir vorbei, besieht sich eine Geschäftsauslage, schon bricht meine Ruhe zusammen, es gibt sie dann nicht mehr, nur wenn ich allein bin, die anderen anfassen, noch schmerzt meine Haut, sie spürt den zu erwartenden Druck und dann doch nicht. Rückzug ist besser, da knurrt nur mein Bauch, ich passe jetzt auf, weniger essen. Aber sowie einer kommt, sich anmeldet, muß ich mit essen. Es gelingt nicht, ich lege so alles an, mir keinen Teller, nur das Gästebesteck, schon schaufle ich, ich sehe mich schaufeln. Jemand anderes ißt, der ich bin, nur ich sehe mir zu. Das kennt jeder. Damit sich trösten. Nur wenn ich allein bin, beherrsche ich mich, brauch den anderen nicht aus mir lassen, nahm Jahr für Jahr zu, bis ich mich nicht mehr wehrte. Ich roch es an mir, die anderen, den ich um so mehr haßte. Unter den Achseln, in jeder Ritze, wenn ich allein bin, stört es mich nicht. Den Leuten geh ich aus dem Weg, ich kenne alle, aber je länger, je weniger weiß ich von ihnen, sie sind mir gänzlich unbekannt, ich kann das behaupten, sicher, sie kommen näher, zuerst glaubt man das, läßt sich täuschen,das Gegenteil davon ist wahr, man lernt sich verstehen, um so ferner der Rest. Braucht es da noch Menschen zu geben. Wozu. Um angestoßen zu werden. Beleidigt. Geknufft. Übervorteilt. Gebe schon Ruh, alles hat Ordnung, ich akzeptiere sie, damit weniger auffällt, was ich unterlasse, ich sitze hier und die ganze Welt geht weiter. Kein Zusammenhang.
En en parlant avec A, après la représentation, il m'a raconté que Schleef avait eu l'idée de la forme et de l'écriture de Gertrud en voyant, à Berlin Ouest, avant la Chute du Mur, ces femmes qui parlent toutes seules. Et du coup, forcément, j'ai repensé à Sara (je ne la citais pas par hasard un peu plus haut), à son personnage de Valerie Solanas tel qu'elle l'a imaginée dans son roman. Sara ne dit pas autre chose, dans sa postface à l'édition française (© Stock, 2009):








J'aime à m'imaginer que Gertrud est une espèce de Valerie Solanas transposée en RDA, en plus vieille, en moins misandre mais tout aussi misanthrope. Elle a le même ressassement, les mêmes marottes, les mêmes vieilles haines pas du tout rangées, le même venin. Elle a cette façon identique de se souvenir de son passé, cette même vision très égotique de soi et du monde, ce même dégoût du monde car ce monde ne lui a pas fait de cadeaux.

Les similitudes ne s'arrêtent pas là. Armin Petras, le metteur en scène de la pièce, n'a pris qu'un petit extrait du livre et a ordonné de façon chronologique la vie de Gertrud là où le roman projette le lecteur d'une période à l'autre, tout comme Sara a opté pour des retours en arrière qui passe d'une époque à une autre. De même, il a choisi de présenter 4 Gertrud différentes qui correspondent à autant de périodes de la vie du personnage, et cette improbable vision kaléidoscopique rappelle encore le projet de Sara qui envisage des dialogues entre la narratrice et Valerie, voire, entre des personnages absents (sa mère Dorothy) ou morts (Cosmogirl).
Sur les 4 actrices, les trois plus âgées sont époustouflantes — la plus jeune étant plus monotone dans son jeu comme dans son personnage. On regarde les seules images que j'aie pu trouver:

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